Le Festival de Toronto couronne Xavier Dolan - Laurence Anyways, meilleur film canadien

Il aura été dit que cette histoire d’amour hors normes, servie par une caméra exaltée, connaîtrait un parcours aussi atypique que le profil de ses héros.
C’est avec une émotion mêlée de joyeuse stupeur que Xavier Dolan a remporté, dimanche à la clôture du 37e Festival international du film de Toronto (FIFT), le prix convoité du meilleur film canadien pour son troisième long métrage, Laurence Anyways.
Lui qui, jugeant décevantes les recettes récoltées par le film au Québec (plus de 400 000 $), se croyait un peu hors course atterrit au septième ciel. « Le film avait coûté cher et rapporté peu, estimaient certains, ce qui nous attristait, évoquait Xavier Dolan hier au Devoir. Mais j’ai toujours été fier de Laurence Anyways. »
Vingt-sept longs métrages canadiens étaient en lice, mais le jury composé des cinéastes Patricia Rozema, Valerie Buhagiar, Jody Shapiro et du directeur du festival danois CPH PIX, Jacob Neiiendam, a voté pour Laurence Anyways à l’unanimité, sans ménager ses éloges : « Pour son énergie cinématographique à couper le souffle et son histoire d’amour entièrement novatrice, le jury s’est senti honoré de voir pareil génie sans entrave à l’oeuvre » a dit Patricia Rozema en lui remettant son prix. « Le plus bel hommage que j’aie jamais reçu », savoure le lauréat.
Le cinéaste québécois de 23 ans avait été avisé samedi de son heureux sort par l’organisation du Festival alors qu’il était dans le train du retour Toronto-Montréal. De quoi tourner bride aussitôt vers la Ville reine.
« Moi, j’étais prêt à tourner la page et à continuer à me dire que, dans la vie, ce qui compte en fait, c’est d’être fier de ses films, peu importe ce que les gens à l’extérieur en pensent, comment ils le reçoivent. Mais c’est sûr que cette surprise-là fait en sorte que le vent tourne, que le vent se lève, et ça, c’est vraiment émouvant », a-t-il déclaré en recevant sa statuette.
Après plusieurs remerciements, il s’est alors tourné vers sa productrice, Lyse Lafontaine, à ses côtés contre vents et marées, lui avouant publiquement : « J’ai pensé que ce film serait rapidement oublié, mais voilà notre chance de perdurer et de partager cette histoire que nous avions si hâte de partager. Merci d’avoir cru à ce film. Il n’est pas facile. Autant il a pu faire peur au public dans son format, sa durée [2 h 40], son thème, autant nous a-t-il fait peur à nous aussi à l’heure de le produire, de se commettre et d’avoir foi en lui. »
Après son discours, Piers Handling, le directeur du festival, est venu le voir, très ému et vraiment ravi pour le film. « Ça m’a fait chaud au coeur », dit Xavier.
Offert conjointement par la compagnie Canada Goose et par la Ville de Toronto, ce prix est assorti d’une bourse de 30 000 $. Le jeune cinéaste est en train de travailler au financement de son prochain film, Tom à la ferme, adapté de la pièce de Michel Marc Bouchard. La reconnaissance dans la Ville reine ne saurait lui nuire à cet effet.
En route vers les Oscar ?
Le festival torontois, qui avait encore pris du volume cette année, est devenu par son ampleur, à une période de l’année où surgissent dans l’arène les candidats aux Oscar, presque l’équivalent de celui de Cannes. Son caractère non compétitif met en lumière l’exception faite aux seules palmes décernées par jury aux films nationaux.
Rappelons que Laurence Anyways avait déjà valu à l’actrice québécoise Suzanne Clément le prix d’interprétation féminine au dernier Festival de Cannes, dans la section Un certain regard.
Traditionnellement, cette décoration à Toronto inspire le comité en quête du choix du Canada pour l’Oscar du meilleur film en langue étrangère. Celui-ci pourrait tourner ses batteries vers Laurence Anyways. En 2011, le même prix avait couronné à Toronto Monsieur Lazhar, de Philippe Falardeau, et en 2010 Incendies, de Denis Villeneuve : tous deux furent tour à tour finalistes aux Oscar.
« Le fait que Toronto nous appuie de la sorte en dit long sur la réception du film dans l’Amérique du Nord anglophone, estime Xavier Dolan. À sa première projection publique au Festival, entre 21 h et minuit et quart, à l’Elgin Theatre, 2500 spectateurs s’étaient déplacés pour le voir. Une salle pleine qui demeura sur place pour poser des questions. Le lendemain matin aussi. »
Laurence Anyways prendra l’affiche au Canada anglais la semaine prochaine, et deux distributeurs américains d’envergure, présents au FIFT, se seraient montrés très désireux de l’acquérir.
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Le FIFT dévoile ses coups de cœur
Le palmarès du 37e FIFT n’a pas fait qu’un vainqueur. Brandon Cronenberg, pour son Antiviral si collé aux premières œuvres de son père, David, a reçu le prix du meilleur premier film canadien ex æquo avec Jason Buxton pour Blackbird. Côté courts métrages, Deco Dawson fut gratifié du Grand Prix pour Keep a Modest Head, avec mention honorable à Mike Clattenburg pour Crackin’Down Hard.
Dans la maison, du talentueux cinéaste français François Ozon, a récolté la faveur de la critique internationale (FIPRESCI) pour les films en présentations spéciales. Quant à la comédie Silver Linings Playbook de l’Américain David O’Russell (derrière The Fighter), très appréciée au FIFT, elle a reçu le prix du public, également fort convoité. Versant documentaire Artifact, de l’Américain Bartholomew Cubbins, fut plébiscité. Dans la section Midnight Madness, le coup de cœur du public s’est porté sur Seven Psychopaths du Britannique Martin McDonagh derrière le très remarqué In Bruges.