La vérité selon Podz

Marc-André Grondin incarne Michel Dumont dans L'Affaire Dumont.
Photo: Yan Turcotte Marc-André Grondin incarne Michel Dumont dans L'Affaire Dumont.

Au début des années 1990, Michel Dumont n’avait guère le profil des grands acteurs de l’actualité. Cet électricien devenu livreur de dépanneur ne vivait pas non plus dans l’allégresse, empêtré dans un divorce acrimonieux mais soucieux du bien-être de ses deux enfants. Tout allait pourtant basculer le 17 novembre 1990, alors qu’une voisine, Danielle Lechasseur, est violée à son domicile de Boisbriand. La victime est formelle : son agresseur est nul autre que son voisin, Michel Dumont. La suite des choses allait vite lui donner… tort.

Cette erreur judiciaire, largement scrutée par les médias, prend maintenant une nouvelle dimension, plus intime et plus artistique. Dès vendredi prochain, on pourra voir sur les écrans du Québec une vision émouvante de cette histoire absurde, tragique et sordide dans L’affaire Dumont. Il s’agit du troisième long métrage du prolifique Podz (Les sept jours du talion, 10 ½), déjà un vieux routier de la télé (C.A., Minuit, le soir, 19-2) malgré son jeune âge, un créateur sollicité de toutes parts et « avec une signature très forte », souligne, admirative, la productrice Nicole Robert.
 
Ce récit truffé de revirements spectaculaires, de témoignages contradictoires et de gaffes monumentales (la justice québécoise en prend plein la gueule…) est d’abord porté par la figure frêle de Michel Dumont, incarné par un Marc-André Grondin aussi efficace qu’effacé, et sa seconde conjointe Solange Tremblay (Marylin Castonguay, une révélation), une femme issue d’un milieu modeste que rien ne destinait à devenir une autre Erin Brockovich. Ces deux êtres dignes mais blessés, ainsi que leurs enfants, sont toujours dans le paysage, un atout certain pour atteindre à l’authenticité, et peut-être aussi un obstacle à la liberté créatrice.
 
Podz se fait catégorique : « Mon boss, c’est le film. » Il reconnaît toutefois que raconter la vie de personnes qui peuvent l’appeler à tout moment ou surgir sur le plateau de tournage constitue un défi particulier. « C’est surtout contraignant à l’étape de l’écriture, tient-il à préciser. La démarche était très scrupuleuse : tout ce qui est dans le film, il y a un dossier qui le soutient. Même chose pour la vie personnelle de Michel et Solange : au moins deux à trois personnes peuvent confirmer ce que l’on voit. »
 
De Kafka à Ionesco

Cette nécessité de coller au plus près du réel, la scénariste Danielle Dansereau ne l’a jamais considérée comme une contrainte étouffante. Pour celle qui fait ses premiers pas au cinéma après de nombreuses années à la télévision, et dans des projets des plus diversifiés (Watatatow, Le négociateur, Diva, 19-2), ce n’était pas tout à fait un défi. « Comme scénariste, mon travail, c’est une recherche constante de la vérité. Même quand j’écris de la fiction pour la télé, ce qui m’importe, c’est la vérité des personnages, la vérité des situations, ces petits détails qui font que c’est touchant et convaincant. »
 
Des petits détails qui font basculer des vies, Podz et Danielle Dansereau pouvaient en ramasser à la pelle, confrontés à une histoire aux multiples ramifications, aux nombreuses possibilités narratives. « Cette histoire est difficile à croire, et pourtant elle s’est déroulée chez nous, au Québec, constate la scénariste. C’est presque du Kafka : un pauvre individu qui se retrouve dans un engrenage incroyable et implacable. Et lorsqu’on lit les minutes de l’enquête préliminaire et du procès — on en a gardé des extraits dans le scénario —, c’est quasiment du Ionesco ! » Ce qui ne signifie pas que les artisans de L’affaire Dumont ont opté pour de grandes libertés aux allures théâtrales.
 
Animé du même souci de réalisme, Podz a songé un temps à tourner en noir en blanc, un choix esthétique auquel Nicole Robert avait du mal à adhérer. « Le choix de la couleur, c’était un gros enjeu pour recréer le climat de cette époque, évoque la productrice. De mon point de vue, le noir et blanc, ça neutralise les choses. Nous avons eu de bonnes discussions ! » Le cinéaste s’est rangé à ses arguments, et aux propres images de son film : « Sur la table de montage, j’ai vu qu’avec le noir et blanc, on aurait été moins près des personnages. » ll est vrai que le début des années 1990 présente encore des relents outranciers de la décennie précédente, polluée par les couleurs pastel et le fixatif, mais l’image s’affiche ici sobre et dépouillée. « Je ne voulais surtout pas aller dans la caricature de l’époque et du milieu social des personnages. Ça aurait été facile et condescendant. »
 
Depuis longtemps associé au comédien Claude Legault, eux qui forment un tandem du tonnerre aussi bien à la télé qu’au cinéma, Podz a cette fois porté son regard sur Marc-André Grondin, lui dont on croit, à tort, qu’il n’a plus ses racines dans le cinéma québécois depuis le succès international de C.R.A.Z.Y. Le cinéaste, toujours à la recherche « de gens qui communiquent avec la caméra », a en quelque sorte auditionné l’acteur… « dans un party ». « Il était seul dans son coin, se rappelle Podz. C’est quelqu’un de très privé et je ne l’avais jamais vu comme ça. En lui parlant, j’ai vite compris qu’il tient à protéger son intimité… un peu comme moi ! Il est comme un iceberg : il y a la pointe, mais tellement de choses à découvrir en dessous. Je savais que ça serait la bonne personne pour ce rôle-là. »
 
Des séances de quatre heures par jour sur la chaise de maquillage furent nécessaires pour que l’acteur se fonde dans le corps et l’âme de Michel Dumont, cet homme à la fois voûté et rigide qui, selon Podz, « semble porter le poids du monde sur ses épaules ». Et avec raison, car comme le résume parfaitement le réalisateur, « L’affaire Dumont, c’est l’histoire de personnages submergés par des forces qu’ils ne contrôlent pas ».

 
Collaborateur

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Les moments clés de l’affaire Dumont

17 novembre 1990 Danielle Lechasseur est violée à son domicile de Boisbriand. Quelques jours plus tard, à partir d’une photographie, elle croit reconnaître son agresseur en la personne d’un voisin, Michel Dumont.
 
Décembre 1990 Michel Dumont est arrêté et inculpé sous quatre chefs d’accusation, dont agression sexuelle armée et menaces de mort.
 
25 juin 1991 La juge Céline Pelletier le reconnaît coupable de toutes les accusations retenues contre lui. Deux mois plus tard, Danielle Lechasseur commence à avoir des doutes sur la véritable identité de son agresseur, prévient la procureure de la Couronne, Me Nathalie Du Perron Roy, et en témoigne à plusieurs reprises dans les médias.
 
Janvier 1992 Michel Dumont amorce un long séjour en prison. Condamné à 52 mois en prison, il purgera les deux tiers de sa peine, soit 34 mois.
 
Mai 1997 Après un combat acharné pour prouver l’innocence de Michel Dumont, Solange Tremblay savoure sa victoire en allant à la rencontre de son conjoint à sa sortie de prison.
 
Février 2001 La Cour d’appel acquitte Michel Dumont.

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Podz en cinq temps

Décennie 1990 Podz, de son véritable nom Daniel Grou, réalise un nombre important de messages publicitaires pour McDonald’s, Soft-image, Bell, Coppertone et Molson, tourne plusieurs vidéoclips (entre autres pour le Cirque du Soleil) et signe de nombreuses séries télévisées en anglais comme The Hunger, Drop the Beat et Vampire High.
 
Décennie 2000 Le réalisateur est associé à plusieurs séries télévisées québécoises, dont certains ont connu un grand succès : 3 X rien, Les Bougon, Minuit, le soir et C.A.
2010 Il fait une entrée remarquée au cinéma en présentant, au cours de la même année, ses deux premiers longs métrages, Les sept jours du talion et 10 ½. Les deux mettent en vedette son acteur fétiche, Claude Legault.
 
2011 La série télévisée 19-2 rassemble plus d’un million de téléspectateurs à Radio-Canada et récolte 12 Gémeaux, dont ceux de la meilleure réalisation et de la meilleure série dramatique.
 
2012 Début cet automne sur les ondes de Radio-Canada de la comédie dramatique Tu m’aimes-tu ?, réalisée par Podz et écrite par Steve Laplante et Frédéric Blanchette.

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