Les beaux-arts sur pellicule

Qu’ont en commun Mozart, Pollock, Chopin et Van Gogh ? Fidèle à ses idées bohèmes, le Cinéma du Parc ressuscite dès ce soir, dans une rétrospective sur grand écran s’il vous plaît, le génie autant que la démesure de ces maîtres peintres et musiciens. Un portrait parachevé par la présentation exclusive de Gerhard Richter Painting, un film retraçant l’oeuvre du célèbre peintre contemporain allemand.
Sur les toiles vierges d’un atelier haut de plafond, un Picasso de chair et d’os trace devant la caméra les lignes noires et les couleurs claires d’oeuvres aujourd’hui disparues. Trois décennies plus tard, dans les rues de Manhattan, Jean-Michel Basquiat marche à grands pas entre deux séries de graffitis, enveloppé dans un trench-coat aussi noir que le fut sa courte vie.
Voilà deux des seize « tableaux vivants » au programme de la rétrospective De musique et de peintures, qui remet de vieux classiques à l’affiche du petit cinéma de quartier où se croisent depuis des années cinéphiles aguerris et simples curieux du septième art. Ces oeuvres de réalisateurs établis — Milos Forman et Agnieszka Holland sont du lot —, pour certaines rarement diffusées, posent un regard à la fois personnel et biographique sur la vie orageuse, et parfois débridée, de nos icônes des beaux-arts.
« On a essayé de faire une programmation assez variée dans le temps, de présenter des oeuvres récentes, comme celles de Basquiat, et d’aller un peu plus loin, jusqu’à Vermeer », explique le propriétaire du Cinéma du Parc, Roland Smith, qui n’en est pas à sa première rétrospective. Ce tour du monde ratisse pas moins de cinq siècles de pulsions créatrices, depuis les clairs-obscurs du peintre italien Le Caravage jusqu’aux mélancolies du pianiste polonais Frédéric Chopin, en passant par les amours folles du peintre et décorateur autrichien Gustav Klimt.
Un désir de « vulgarisation » mêlé d’un goût pour le « festival permanent » est à l’origine des inspirations de Roland Smith, qui se fait d’ailleurs un plaisir d’alimenter les bassins versants de l’art. « C’est sûr que des aficionados critiques de la façon dont Raoul Ruiz a dépeint Klimt, par exemple, viendront aussi en salle, illustre le programmateur. Mais la satisfaction est plus grande quand je peux faire découvrir des films à des gens qui, normalement, ne les verraient pas. »
Des oeuvres comme portraits
Dans cette série d’oeuvres de fiction — Le mystère Picasso en est le seul documentaire —, les cinéphiles sont appelés à lorgner au-delà des aspects biographiques pour mieux s’immerger dans les tourments d’un Munch ou d’un Goya. Car le réalisateur étant lui-même un artisan, « c’est le sujet, la mise en scène et l’approche qu’il a prise pour raconter l’histoire de l’artiste qui sont importants ». Cette programmation originale permet aussi d’offrir une solution de remplacement aux blockbusters relayés par les distributeurs, « de grands succès qui écrasent plein d’autres films », de l’avis de Roland Smith.
Les cinéphiles seront donc servis en films d’auteur avec l’extravagant Amadeus de Milos Forman, oeuvre de trois heures où le rire fou de Tom Hulce incarne à lui seul le génie maladif de Mozart, de même qu’avec The Music Lovers, de Ken Russell, où des flash-back et de longues séquences musicales reconstruisent la passion créatrice du compositeur russe Tchaïkovski. « C’est un film qu’on avait montré tous les deux ou trois mois au cinéma Outremont à l’époque. Toute l’oeuvre de Ken Russell s’y retrouve. C’est meilleur que The Devils, que Lisztomania. Il a tout mis dans ce film-là. »
L’art visuel n’est pas en reste avec Downtown 81 d’Edo Bertoglio, où le peintre américain d’origine haïtienne Jean-Michel Basquiat joue son propre rôle dans le New York un peu trash des années 1980, et avec le fameux Pollock d’Ed Harris, un portrait plus classique retraçant le destin de l’artiste adepte de « dripping », technique ayant rendu célèbres ses tableaux abstraits. Belle curiosité, le film Painted Fire fera quant à lui revivre aux cinéphiles l’histoire tragique de l’artiste coréen Jang Seung-Up, dont les toiles bucoliques ont mis en images la vie sous la dynastie Chosun au milieu du xixe siècle.
De musique et de peintures est aussi l’occasion de revoir les prouesses d’acteurs de renom dans la peau d’artistes tourmentés, des rôles souvent difficiles car de facto incarnés. John Malkovich est « tout à fait détestable » dans le Klimt de Raoul Ruiz, commente Roland Smith, tandis que Scarlett Johansson se fait timide dans The Girl with the Pearl Earring, le rôle ayant lancé sa carrière. Quant à l’incarnation de Mozart par Tom Hulce dans Amadeus, seul grand rôle de l’acteur, elle vaut à elle seule le détour.
Sur le feu
Les ayants droit étant souvent longs à obtenir et le bassin de films n’étant pas proportionnel au nombre d’artistes de renom, la rétrospective a passé au moins six mois « sur le feu », un travail de longue haleine ralenti par le manque de fonds. « Trouver les films, dont les copies ne sont pas nécessairement à Montréal, ce n’est pas évident. Il faut aussi s’assurer que le public francophone soit bien servi là-dedans. » Mais que les cinéphiles se rassurent : chaque film est accompagné de sous-titres, le plus souvent en français.
Heureux hasard, le distributeur de Gerhard Richter Painting, un documentaire de Corinna Belz sur le processus créatif du peintre allemand qui fête cette année son 80e anniversaire, a choisi la date d’aujourd’hui pour en entamer la diffusion. « On en a profité parce que c’était l’occasion de présenter un film inédit, que personne n’a encore vu dans aucun festival au Québec », s’enthousiasme Roland Smith, qui avait vu le film à sa première au Festival international du film de Toronto l’an dernier.
Le timing est d’ailleurs idéal car le Centre Pompidou, ce grand musée parisien d’art contemporain, célèbre en ce moment l’oeuvre entière de l’artiste, de ses «photos-peintures» à ses canevas abstraits dans l’exposition itinérante Gerhard Richter. Panorama, qui prendra fin le 24 septembre prochain. Avis à ceux qu’un autre voyage au coeur de l’art pourrait intéresser.