Rien ne va plus à la Cinémathèque québécoise. Chroniquement sous-financée, avec des frais en hausse, elle contemple le gouffre.

Selon Charles David, le président de son conseil d'administration, dans six mois, à moins d'un coup de barre, c'est la débandade. L'institution, qui possède la double mission de conservation du patrimoine audiovisuel mondial, surtout québécois, et de sa mise en valeur (projections, événements, expositions, etc.) a traversé au fil du temps bien des tempêtes et des alertes rouges. Cette fois, elle se heurte à un mur.

«Impossible d'équilibrer les revenus et les dépenses chez nous, affirme Charles David. Dans son état de semi-faillite à répétition, une aide ponctuelle ne peut résoudre ses problèmes. Ça prendrait une injection d'entre 1,2 million et 1,5 million par année, de façon récurrente et indexée. Il faut changer le modèle financier, qui ne fonctionne plus. On aura perdu 250 000 $ au 31 mars 2012. En 2013, on prévoit un déficit entre 500 000 $ et 700 000 $. Comment passer au travers?»

Le 8 avril 2013, la Cinémathèque célébrera son cinquantenaire, et ses dirigeants espèrent endiguer la débâcle financière d'ici là. «Une question se pose: le Québec a-t-il besoin d'une Cinémathèque?», demande la directrice générale par intérim Iolande Cadrin-Rossignol, en espérant que l'institution deviendra une priorité auprès des décideurs.

«La situation de la Cinémathèque est catastrophique! tranche-t-elle. Une partie des employés passent leur temps à chercher des subventions.»

Problème de base: son statut d'organisme sans but lucratif, qui force la Cinémathèque à chercher près de la moitié de son budget hors subvention, cette partie n'étant pas indexée au coût de la vie. Or, les donateurs, sollicités de toutes parts, ont la main moins généreuse qu'avant. «On a une perte de mécènes, déplore Iolande Cadrin-Rossignol. La crise a frappé.» Depuis 2008-2009, la Cinémathèque a perdu près de 600 000 $ en dons privés. Ajoutez cette Fondation de la Cinémathèque québécoise qui n'a jamais décollé non plus. «On a besoin d'un président de fondation à l'aise avec les arcanes du milieu financier», dit-elle.

De l'avis de Charles David, dès l'étape de la production d'un film ou d'une production télévisée, un pourcentage du budget devrait être dévolu pour sa conservation à la Cinémathèque, permettant ainsi à tout le cycle — développement, production, diffusion, patrimoine — de rouler sans problème. «Des crédits d'impôt pourraient être injectés dans le système. »

Le dépôt légal, entré en vigueur au début 2006, qui confie à la Cinémathèque le mandat de conserver copie des oeuvres audiovisuelles, s'est vu assortir d'un soutien gouvernemental (550 000 $ par année), mais les frais adjacents ont triplé, et le nombre d'oeuvres déposées a explosé. Le cinéma numérique, un casse-tête de conservation, réclame un matériel de pointe sans cesse renouvelé, mais leurs équipements sont désuets. «Le dépôt légal génère désormais autant de coûts que de revenus, assure Charles David. Ses bénéfices se sont érodés. On a trop d'obligations.» Sans compter une augmentation des coûts salariaux. Jamais indexés, ils se révèlent non concurrentiels. Le roulement des employés est énorme, surtout dans le secteur des communications.

Charles David a bien un mystérieux plan B dans sa manche, mais à trop court terme.

Si rien ne bouge, il n'exclut pas que des activités phares de la Cinémathèque, les projections par exemple, puissent cesser, en préservant l'aspect conservation. Perspective qui révolte Iolande Cadrin-Rossignol. «Par décret gouvernemental, le patrimoine de la Cinémathèque doit poursuivre ses deux missions, sinon l'État québécois serait chargé de s'en charger à sa place. On n'a pas de perte de clientèle pour les projections de films. Au contraire, une légère augmentation fut enregistrée l'an dernier. Mais nos locaux accueillent aussi beaucoup de festivals, à qui on charge très peu.»

Aucun gras à couper du côté des postes (38 employés syndiqués à temps plein, plus les surnuméraires et les emplois à temps partiel). «Tous les employés sont compétents, passionnés, indispensables», assure Iolande Cadrin-Rossignol, ajoutant qu'une relève de jeunesse insuffle un esprit nouveau et dynamique à l'organisme.

Charles David estime que la Cinémathèque devrait devenir une société d'État. «Le cas échéant, juste en salaires, ça coûterait deux fois plus cher», répond Iolande Cadrin-Rossignol.

Une subvention parallèle (5 millions) est réclamée au ministère de la Culture et des Communications à des fins immobilières, afin de moderniser des équipements vétustes: ordinateurs, médiathèque, etc. «Notre demande va bon train, mais roule depuis trois ans, et ne peut d'aucune façon servir aux besoins de fonctionnement général de la Cinémathèque» précise Charles David.

Étranglés par les frais en augmentation, ils ne peuvent changer les inconfortables fauteuils rouges de la salle Claude-Jutra. «Ça coûterait 55 000 $», soupire Iolande Cadrin-Rossignol.

Une vétille? Pas pour une institution qui se voit couler à pic.