Cinéma - Falardeau ramène le Québec aux Oscar

Monsieur Lazhar, de Philippe Falardeau, est finaliste à l'Oscar du meilleur film en langue étrangère, tandis que deux films de l'ONF concourent pour la statuette du meilleur court métrage d'animation: Dimanche, de Patrick Doyon, et Wild Life d'Amanda Forbis et Wendy Tilby.
Et voilà! Après une nuit courte et un matin stressé en Utah, dans l'effervescence du Festival de Sundance, le verdict tomba: Monsieur Lazhar est en nomination pour l'Oscar du meilleur film en langue étrangère!Hier, Philippe Falardeau a poussé des Oh! et des Ah! Ces mêmes cris incrédules résonnaient l'an dernier, alors que Denis Villeneuve, aux côtés d'un identique duo de producteurs, Luc Dery et Kim McCraw de micro_scope, apprenait que son film Incendies sortait du chapeau. Les producteurs n'étant plus novices en la matière, ont suggéré à Falardeau de déployer des efforts ici, d'investir du temps là, côté promotion, guidant le cinéaste dans cette drôle de galère.
À souligner: les deux films sont tirés de pièces de théâtre, Incendies adaptant celle de Wajdi Mouawad, Monsieur Lazhar réinterprétant le spectacle solo d'Évelyne de la Chenelière. Comme quoi seules les bonnes histoires peuvent s'offrir plusieurs vies. Comme quoi aussi le cinéma québécois ne va pas trop mal, merci!
Depuis son lancement au Festival de Locarno, mais surtout au rendez-vous de Toronto, où Monsieur Lazhar a coiffé le titre de meilleur film canadien, Philippe Falardeau se sent projeté, selon ses propres termes, «dans un rêve [qu'il n'a] jamais osé avoir». Il comptait à sa feuille de route de bons films, comme La moitié gauche du frigo, Congorama, etc. Mais c'est Monsieur Lazhar qui l'a vraiment propulsé. «On ne peut pas analyser le succès, dit-il. La charge émotive? La performance des enfants? Le jeu subtil de Fellag? Qu'une oeuvre aussi intimiste, tournée avec un petit budget, côtoie les productions d'Hollywood aux Oscar, c'est signe de santé.» Sa conclusion: «Il faut faire le film qu'on porte en soi et ne pas imiter les recettes éprouvées.»
Ce simple et lumineux Monsieur Lazhar (toujours en salle chez nous, sur plus d'écrans cette semaine) est presque un huis clos, dans une classe où un demandeur d'asile à titre de réfugié remplace au pied levé une enseignante qui s'est suicidée. Philippe Falardeau ne se monte pas la tête, compte tourner encore au Québec, mais présume qu'il pourra avoir accès à des acteurs de prestige et à des budgets plus importants si le besoin se fait sentir.
Gagnera-t-elle la statuette le 26 février prochain, cette oeuvre de grâce? Tout est possible. Son grand rival demeure le remarquable Une séparation, de l'Iranien Asghar Farhadi, couronné aux Golden Globes, cité aussi pour l'Oscar du meilleur scénario original. Ses autres concurrents sont In Darkness, d'Agniezska Holland (coproduit au Canada), Footnote, de l'Israélien Joseph Cedar et Bullhead, du Belge Michael R. Roskam. Encore que cette catégorie, d'un cru à l'autre, s'appuie sur des mécanismes mystérieux. Et le film de Falardeau, servi par une simplicité dont les membres de l'Académie sont friands, peut créer la surprise.
Atterrir dans le peloton de tête constitue déjà un exploit. Après tout, seulement cinq longs métrages canadiens: Water de Deepa Mehta, Incendies de Denis Villeneuve et trois oeuvres de Denys Arcand (Le déclin de l'empire américain, Jésus de Montréal et Les invasions barbares, vainqueur en 2003), l'ont précédé dans cette catégorie.
Le Canada à l'honneur
Philippe Falardeau ne traversera pas seul nos frontières en direction d'Hollywood. Patrick Doyon, avec Dimanche, Amanda Forbis et Wendy Tilby, avec Wild Life, deux films de l'Office national du film (ONF), sont également de la course, côté meilleur court métrage d'animation.
Le compositeur canadien Howard Shore, oscarisé deux fois grâce à ses partitions du Seigneur des anneaux, est cité à la meilleure musique: celle du charmant Hugo de Martin Scorsese. Le légendaire Christopher Plummer, né à Toronto, concourt comme meilleur acteur de soutien en père homosexuel dans Beginners de Mike Mills.
Patrick Doyon, dont le délicieux Dimanche aborde à hauteur d'enfant, avec humour et mélancolie, sur des dessins joyeusement naïfs, un quotidien à enjoliver admet que d'avoir son premier court métrage professionnel retenu aux Oscar démarre bien une carrière. «J'ai mis en scène dans Dimanche des souvenirs d'enfance transformés», dit-il. Le film sort en salle le 3 février avant le long métrage La fille du puisatier (d'après Pagnol) de Daniel Auteuil.
Nominations
Quelques sujets de réjouissance: voir le muet The Artist du Français Michel Hazanavicius (tourné à Hollywood, tout de même) récolter 10 nominations aux Oscar, dont les plus prestigieuses, nous ravit. On apprécie aussi la présence en poulain de tête — 11 nominations — du Hugo (ayant pour cadre Paris) du maître américain Martin Scorsese, utilisant brillamment le 3D. The Descendants d'Alexander Payne, avec sa finesse et son humour dans un cadre hawaïen, n'a que cinq citations, mais il peut monter haut. Et les Américains n'ont pas oublié de faire figurer le très ambitieux The Tree of Life de Terrence Malick, palmé d'or à Cannes, dans les sections supérieures: meilleur film, meilleur réalisateur, même si le suspense se jouera entre Hugo, The Descendants et The Artist. Tous sont méritants.
On se réjouit aussi de voir Woody Allen, pas trop chouchou de l'Académie, obtenir des citations prestigieuses: meilleur film, meilleur réalisateur et meilleur scénario original. À lui aussi, Paris porte chance. La Ville lumière tient par ailleurs la vedette dans le charmant Une vie de chat des Français Jean-Loup Felicioli et Alain Gagnol, en nomination pour le meilleur long métrage d'animation et éclipsant, c'est bizarre, Tintin et le secret de la Licorne de Steven Spielberg. Ce film est le grand oublié de cette catégorie et se contente d'une citation pour la musique.
Vrai scandale: l'absence du meilleur film de l'année, Shame, de l'Irlandais Steve McQueen, des nominations, particulièrement pour son acteur principal Michael Fassbender, éblouissant en homme accro au sexe. Le film, classé R pour Restricted et jugé obscène, aura été victime du puritanisme américain.