Cinéma - Beauté soporifique

Une étudiante peine à joindre les deux bouts. De petits boulots aliénants en insomnies, la belle rouquine surnage à peine. Puis un jour, elle répond à une petite annonce. Et la voilà plongée dans l’univers étrange et mystérieux d’une non moins étrange et mystérieuse maison close. L’endroit a ceci de particulier que les jeunes femmes qui y travaillent sont plongées dans un profond sommeil pendant que les clients, tous de vieux messieurs, les regardent, les touchent, leur parlent... et s’abstiennent de toute relation sexuelle.
Il s’agit bien sûr d’une adaptation du roman Les belles endormies de Yasunari Kawabata, lauréat du prix Nobel de littérature en 1968. Détail que cette production australienne soignée mais bancale ne mentionne pas, une omission d’autant plus surprenante que la réalisatrice néophyte, Julia Leigh, est elle-même auteure.On se souviendra qu’en 2007, une adaptation allemande, officielle celle-là et mettant en vedette Maximilian Schell, avait eu droit chez nous à une sortie confidentielle. D’autres furent tournées auparavant, notamment en Espagne. Toutes épousent, comme dans l’histoire originale, le point de vue d’un des clients, mû davantage par la mélancolie que par la lubricité. En déplaçant la focalisation du côté de celle qui dort, le scénario de Julia Leigh se distingue donc des précédentes versions, mais ce faisant, la cinéaste renonce à la réflexion sur la vieillesse, le désir et la mort qui vient, ne proposant en retour rien de très significatif, hormis peut-être de jolis tableaux glacés.
Sleeping Beauty porte bien son titre, en cela qu’il s’agit d’une œuvre belle et endormie. Rien ne s’y passe trop, et sous couvert de donner dans le contemplatif (le corps nubile d’une Emily Browning désinhibée mais somnambule) et le vaguement surréaliste (n’est pas Buñuel qui veut), on prend son temps pour aller nulle part. Au final, et contrairement à l’héroïne, le spectateur n’a besoin d’aucune substance somnifère pour s’assoupir: le film s’en charge très bien tout seul.
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Collaborateur du Devoir