Un Tintin «hollywoodisé»

Voici donc que la rencontre entre Hergé et Spielberg, organisée juste avant la mort du créateur de Tintin et rendue impossible par son décès en 1983, a lieu au grand écran, avec l'aide de Peter Jackson à la production. Le film de 130 millions de dollars partait avec un carré d'as dans son jeu.
À 200 à l'heure, Tintin devient ici proche parent des Indiana Jones de Spielberg, sans renier ses sources belges pour autant, mais en accélérant le débit. Des sources tirées donc de l'univers du Crabe aux pinces d'or et du Secret de la Licorne, avec un tas d'éléments inédits, qui s'insèrent sans gêner parmi les références du tintinophile accompli.Résultat: un bon divertissement pour toute la famille, avec des scènes d'action trépidantes, mais où le rythme effréné engloutit l'humour des bandes dessinées. Celui-ci réclamait quelques plages de calme pour opérer, tout comme l'émotion d'ailleurs.
Dans cette partition en 3D, les mouvements des acteurs, par procédé de rotoscopie, sont transformés et retravaillés en images de synthèse, sans qu'on y retrouve tout à fait notre Tintin.
Incarné par Jamie Bell et modifié sur ordinateur, il a le visage d'un enfant de douze ans. On lui aurait bien accroché quelques années supplémentaires. Il s'agit vraisemblablement d'un clin d'oeil au modèle original, dont les traits sont à peine esquissés par Hergé. D'ailleurs une des premières scènes du film, fort charmante, est ce portrait du petit reporter tiré par un peintre de rue, copie du héros dessiné par Hergé. Haddock (Andy Serkis) a perdu du poids et les Dupondt en ont gagné. Pas trop grave! À quelle époque se situe l'action? Au temps d'Hergé: un après-guerre réinventé.
Même si Scorsese a mieux tiré parti des trois dimensions dans son Hugo, techniquement, Les aventures de Tintin impressionne, mais si le passage entre Hergé et Spielberg n'est pas raté, il s'est «hollywoodisé». Voici Tintin devenu un simple héros d'aventures. L'énigme de son personnage s'est évanouie.
Une fois n'est pas coutume: on a boudé la version originale pour le doublage en français. Pas question d'entendre Milou s'appeler Snowy et les Dupondt, Thompson. Respect pour les classiques!
On ne s'ennuie guère. Pas le temps! Et après que Tintin a acheté sa réplique du vaisseau la Licorne, ce qui lui cause bien des ennuis, les séquences dans le rafiot où le capitaine Haddock est maintenu prisonnier par le sinistre Zakharine (Daniel Craig) — un nouveau vilain qui remplace Rastapopoulos — sont le véritable point de départ de l'action.
Avec des effets spéciaux généralement réussis, des décors, des ambiances savamment reconstitués, on savoure des combats entre le chevalier de Haddock et Rackham le Rouge dans sa Licorne de jadis, on bondit en avion en plein désert du Sahara pour atterrir dans des bulles du Crabe aux pinces d'or, où le capitaine, privé d'alcool, hallucine et voit, non pas une bouteille, mais la caravelle de son ancêtre, qui surgit incongrûment des sables. Les Dupondt restent bébêtes et Haddock, l'Incorrigible soiffard et as de l'invective.
La partie la plus endiablée se déroule dans une ville imaginaire de l'Atlas marocain où le vilain Zakharine utilise la Castafiore comme arme secrète pour dérober un des parchemins au sultan. Mais à travers ce Maghreb fantasmé aux casbahs surdimensionnées, où les folles poursuites crépitent comme des feux d'artifice, la cadence appartient à Spielberg et les tintinophiles pourront crier à l'hérésie. Car on peut bien s'amuser devant le Tintin de Spielberg, une fois l'exercice terminé, il n'en reste pas grand-chose: un bon divertissement familial du temps des Fêtes. C'est toujours ça de pris...
Les aventures de Tintin: Le secret de la Licorne
Réalisation: Steven Spielberg. Scénario: Edgar Wright, Joe Cornish. Steven Moffat, d'après Le secret de la Licorne et Le crabe aux pinces d'or d'Hergé. Avec Jamie Bell, Andy Serkis, Daniel Craig, Nick Frost, Simon Pegg, Daniel Mays, Gad Elmaleh. Montage: Michael Kahn. Musique: John Williams. 107 min.