Ken Russell 1927-2011 - Un diable au paradis

Ken Russell lors du tournage du film Tommy en 1975
Photo: Agence Reuters Ken Russell lors du tournage du film Tommy en 1975

Il fut un roi gothique et outrancier. Au cours des années 1970 régna le cinéaste britannique Ken Russell, cultivant le mauvais goût comme un des beaux-arts, mélomane qui fit communiquer les notes et les mots, érotomane halluciné. Il eut beau réaliser plus de 70 films, une ère de fièvre colle à la peau du créateur délirant qu'on disait fou. Russell est mort dimanche à 84 ans, paisiblement dans son sommeil, loin de l'enfer qu'il nous servit jadis. Car si un seul film doit rester collé à son nom, il est rouge, hystérique et maudit.

En 1971, Les diables (The Devils), adaptant Huxley et John Whiting, fut l'électrochoc qui colla le cinéphile sur son siège d'horreur et de fascination. Sorcellerie, inquisition au XVIIe siècle, érotisme et violence exacerbés, religion d'enfer inspirée des diables de Loudun, possession d'une ursuline (Vanessa Redgrave), nonnes nymphomanes, torture, bûcher: histoire hurlante et infamante avec Louis XIII en travesti. La totale! Le film, interdit dans maints pays, fit date et conserve son statut mythique.

Plusieurs jugeaient le cinéaste vulgaire, avec son homosexualité vociférante à une époque où la retenue était de mise. Il s'en amusait.

Déjà en 1969, son film Women in Love, d'après D. H. Lawrence (en nomination aux Oscar), choquait par un corps à corps viril et dénudé entre Alan Bates et Oliver Reed; première représentation d'un sexe masculin à l'écran. Glenda Jackson était de la fête érotique et resta dans son écurie.

C'est aussi Tommy, tiré en 1975 de l'opéra rock des Who, avec ce garçon frisé (Roger Daltrey) coupé de ses sens, entonnant Feel Me, Touch Me, Love Me qui lui apporta des sommets d'audience. Elton John, Eric Clapton, Tina Turner et autres stars chantantes entouraient le héros sourd, muet, aveugle dans ce film collé à son temps, qui ne résiste pas aux exigences du nôtre, autant l'admettre.

Plus discret, mal reçu à sa sortie en 1969, mais vieillissant mieux: La Symphonie pathétique (The Music Lover), biographie très romancée de Tchaïkovski (Richard Chamberlain, en érotomane inverti). Certaines scènes puissantes hantent encore les mémoires. La mère hurlante du compositeur jetée dans un bain bouillonnant en guise de cure, l'épouse bafouée (Glenda Jackson) par son génial mari homosexuel dans un train d'enfer; plus tard dévorée par des fous: cette oeuvre tout en flashs-back, en scènes crues et angoissées ne satisfit pas les exégètes du compositeur du Lac des cygnes, mais plut au public.

La musique fut sa vraie muse. Déjà au début des années 1960, il avait réalisé des documentaires pour la BBC sur Prokofiev, Debussy, Bartok, Strauss, etc., lui qui signa des biopics de Mahler, réalisa aussi Lisztomania en 1979, dirigeant le chanteur des Who, Roger Daltrey (en Liszt qui se déplaçait en fusée), son acteur de Tommy. Russell fit éclater toutes les frontières entre les genres musicaux.

Sa source noire s'est pourtant tarie après les riches heures des hallucinations collectives. Il eut beau, au cours des années 1980, multiplier les films comme Au-delà du réel et Gothic, son public, qui avait lâché l'acide, bouda son ancien gourou rouge. Russell poursuivit pourtant une carrière d'acteur et de cinéaste, à travers notamment The Falls of the Louse of Usher en 2002, son étoile, une naine noire peut-être, l'avait vraiment lâché.

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