Cinéma - Tintin au pays des Hindous

New Delhi — Cinquante ans après Tintin au Tibet, dans lequel le personnage d'Hergé faisait une brève escale à Delhi en route pour Katmandou, le film en 3D de Steven Spielberg a atterri dans les salles indiennes, un mois et demi avant sa sortie pour Noël aux États-Unis.
Succès apparemment garanti pour Le secret de la Licorne, qui a tiré son épingle du jeu contre Rockstar, la grande production bollywoodienne de la semaine. C'est que Tintin fait l'objet d'un véritable culte dans le sous-continent, en particulier au Bengale-Occidental. «Tintin, c'est énorme en Inde, peut-être même plus qu'aux États-Unis», dit une porte-parole de Sony Pictures (India). La chronique Web consacrée à la question par le fameux Soutik Biswas était titrée «L'éternelle histoire d'amour de l'Inde avec Tintin». L'écrivain Vikram Seth (connu chez nous pour son Garçon convenable, publié en 1993) lui rend un éloquent hommage dans The Golden Gate, son premier roman — écrit en vers. Un autre Bengali, l'immense cinéaste Satyajit Ray, accro avoué à Tintin, y a souvent fait référence dans son oeuvre. Il n'y aurait pas une maisonnée qui se respecte à Calcutta (rebaptisée Kolkata en 2001) qui n'ait un exemplaire de l'une de ses 23 aventures. Pour autant, le film de Spielberg sorti en salles vendredi dernier n'a pas été doublé en bengali. Ce sont des doublages en hindi, en tamoul et en télougou qui accompagnent la sortie de la version anglaise.«Je reçois beaucoup de lettres de l'Inde, avait déjà fait remarquer Hergé. Ici, tiens, j'en ai deux qui viennent de Calcutta. Que peut-il bien y avoir en commun entre un gamin de Calcutta et moi-même?» Beaucoup, visiblement.
C'est un magazine bengali pour enfants, Anandamela, qui introduit Tintin en Inde pour la première fois dans les années 1970 en langue vernaculaire. Le Tintin bengali obtint un succès instantané. Les ventes sont estimées depuis 1984 à 500 000 exemplaires de chacun des albums. Tintin en hindi n'existe en revanche que depuis un an.
Pour autant, Namrata Joshi, la mordante critique de cinéma d'Outlook, l'un des principaux magazines indiens de langue anglaise, a jugé Le secret de la Licorne de M. Spielberg à peine plus que potable. Elle a retrouvé intacte l'âme d'Hergé dans la première partie, mais considère qu'il vire ensuite au simple film d'action, noyé dans les effets spéciaux. Pas faux.
Par Hergé, Tintin est venu deux fois en Inde. Il passe en coup de vent dans Tintin au Tibet en compagnie du capitaine Haddock. Fait escale à Delhi, va voir le Fort Rouge et le Qutub Minar, visite la vieille ville où le capitaine Haddock se fait malmener par une vache sacrée. Dans Les cigares du pharaon («rempli d'horribles caricatures sur l'Inde», note le chroniqueur Biswas, à la différence de ce que Hergé en avait fait dans Tintin au Tibet), son petit avion s'écrase dans la jungle du sud de l'Inde, où il s'attaque au trafic d'opium.
En 2006, le dalaï-lama remettait d'ailleurs à la Fondation Hergé — en même temps qu'à l'archevêque sud-africain Desmond Tutu! — le prix de la Lumière de vérité, en reconnaissance de la contribution de Tintin au Tibet à faire connaître le pays tibétain. Quelques années plus tôt, la fondation avait demandé le rappel de la traduction chinoise de la bande dessinée pour avoir été coiffée du titre Tintin au Tibet chinois. Les autorités chinoises avaient cédé et rétabli le titre original.