Cinéma - De la ligne claire au pixel

Bruxelles — La rencontre entre deux géants de la narration a bien eu lieu et elle est même scellée dans les premières minutes des Aventures de Tintin: le secret de la Licorne, la transposition du monde d'Hergé sur grand écran par Steven Spielberg. L'avant-première a eu lieu samedi dernier à Bruxelles en Belgique, là où le célèbre reporter à la houppe a vu le jour, dans le journal Le Petit Vingtième il y a plus de 80 ans.
La première scène, en forme d'hommage est séduisante: on y voit, dans une réplique parfaite du marché aux puces de la place du Jeu-de-Balle dans la capitale belge, un lieu fréquenté régulièrement de son vivant par le père du héros de bande dessinée, un jeune homme se faire tailler le portrait par un dessinateur de rue.Sourire. C'est Hergé, version pixélisée, qui croque son modèle et lui présente après quel-ques minutes le fruit de son travail: le vrai visage de Tintin tel qu'on l'a toujours connu sur l'imprimé. Le clin d'oeil est fort. Le relais est passé. L'aventure peut débuter.
De la ligne claire au pixel, Steven Spielberg signe avec ce premier opus en 3D un divertissement familial haletant et convaincant qui, pour la première fois, rend honneur à l'univers d'Hergé sur grand écran. «J'ai attendu, attendu et encore attendu que la technologie puisse rendre compte du travail d'Hergé à l'écran», a résumé samedi le réalisateur en conférence de presse à Bruxelles. «Je tenais à ce film, mais je ne disposais pas de la technologie pour le faire».
Là où Tintin et le mystère de la Toison d'or (1961) et Tintin et les oranges bleues (1964), deux adaptations cinématographi-ques, ont échoué en essayant de donner de la chair et des os à des personnages du 9 art, Spielberg évite la dérive en passant par la technique de la capture de mouvement. Les personnages sont incarnés par des acteurs filmés avec des capteurs sur fond bleu. Leur aspect tout comme les décors sont ensuite générés par images de synthèse.
La magie opère
En 107 minutes, la magie opère avec un voyage dans le temps et la technologie, qui fait oublier rapidement sa mécanique numérisée pour exposer des scènes semblant sortir tout droit des cases qu'Hergé a imaginées dans son Secret de la licorne et son Crabe au pince d'or. Ces deux albums, sans lien entre eux, donnent vie à cette transposition qui ne respecte le scénario ni de l'un ni de l'autre tout en mariant habilement les deux.
Le rythme est soutenu, les citations nombreuses et précises autant dans l'environnement de la ville, les véhicules d'époque, les ambiances, tous magnifiés par Spielberg. Même Tintin, un visage vide sur papier, attachant parce que le lecteur y retrouve dedans ce qu'il y a projeté, franchit sans dégât la frontière des arts, du 9e au 7e, sous les traits numérisés et lénifiés du jeune acteur Jamie Bell.
En 1983, à la veuve d'Hergé, Spielberg — qui n'a jamais pu rencontrer le fondateur de son nouveau succès — avait parlé de son rêve de faire de Tintin au cinéma un Indiana Jones pour enfants. Cette histoire de licorne fait passer le rêve dans la réalité au prix toutefois de quelques impératifs hollywoodiens qui risquent de faire sourire les fidèles de Tintin, pas forcément pour les bonnes raisons. On note ici cette poursuite finale improbable et démesurée, bien éloignée de la grammaire hergienne ou encore ce Gad Elmaleh, argument francophone de la distribution, mis en gros plan sur le générique pour au final un minuscule rôle de figuration. Des peccadilles toutefois dans un tout redoutable pour les 7 à 77 ans et dont la version originale anglaise pourrait toutefois être troublante pour ceux qui ont biberonné les aventures du reporter dans la langue de Molière. Les Dupont-Dupond ne peuvent pas s'appeler Thomson et Thompson! Et Milou surtout pas Snowy!
L'objet cinématographique sortira officiellement le 26 octobre partout en Europe et le 23 décembre en Amérique du Nord.