Les copains d'abord

Le réalisateur Guillaume Canet
Photo: Source Maple pictures Le réalisateur Guillaume Canet

Contre toute attente, à la stupeur du cinéaste et de son équipe, Les Petits Mouchoirs, long film de deux heures et demie, sur un groupe de copains en vacances à la plage, fut le succès de l'année en terre hexagonale. Plus de cinq millions d'entrées. «Je ne pouvais imaginer pareil engouement, s'étonne encore Guillaume Canet. Manifestement, les gens se sont identifiés aux personnages et à leurs petites lâchetés. Peut-être cherchaient-ils aussi une solidarité, des liens profonds auxquels se raccrocher en des temps moroses?»

En corollaire, le grand absent de la cérémonie des César français, hormis dans les catégories des seconds rôles, ce fut lui. Guillaume Canet évoquait par ailleurs la jalousie dont regorgeaient les messages anonymes à travers les réseaux sociaux, «venus de cinéastes français contre un autre cinéaste français...».

La p'tite vie, comme dirait l'autre


Guillaume Canet est d'abord un des jeunes visages phares du cinéma français. Le comédien de Joyeux Noël! de Christian Carion, de La Fidélité d'Andrzej Zulawski et d'En plein coeur de Pierre Jolivet avait aussi donné la réplique à Leonardo DiCaprio et Virginie Ledoyen dans l'international et moins réussi The Beach de Danny Boyle. Il livrait en 2002 un premier long métrage, Mon idole. Mais c'est son deuxième film, Ne le dis à personne, thriller psychologique adapté en 2006 du roman de Harlan Coben, avec à la barre François Cluzet et Kristin Scott Thomas, qui lui valut la gloire et le César du meilleur réalisateur.

Les Petits Mouchoirs évoque The Big Chill de Lawrence Kasdan, modèle du film choral de retrouvailles, duquel Canet s'est d'ailleurs inspiré, comme certains films de Sautet: Vincent, François, Paul... et les autres, notamment. Il en parle pourtant comme de son oeuvre la plus personnelle et la plus achevée. C'était son premier scénario. «Je portais cette histoire en moi depuis longtemps, explique l'acteur cinéaste. Le film est basé sur une expérience personnelle, dans ma maison de Cap Ferret.»

Après un passage à vide, nourri de surmenage, d'une hospitalisation pour septicémie et d'une dépression, il eut envie de retrouver un sens à sa vie bouffée par le travail. Chaque personnage est un peu lui, avec épisodes romancés bien évidemment. «Le titre de mon film fait référence à tous ces petits mouchoirs qu'on cache sous son lit.»

Les huit comédiens sont ses amis dans la vraie vie: François Cluzet se transforme dans le film en hôte hargneux qui reçoit les amis dans son chalet de bord de mer. Benoît Magimel incarne un homosexuel qui sort du placard. La compagne de Canet, Marion Cotillard, devient une anthropologue en quête d'amour et de sens. Joël Dupuch, un voisin et ami de Cap Ferret, joue pratiquement son propre rôle. Jean Dujardin, qu'il a connu à la maternelle, est ici presque un fantôme, puisque malade, condamné, abandonné à Paris par ses copains, mais omniprésent sur les vidéos des vacances précédentes.

Diriger sa conjointe sur un plateau? «Je crois que Marion Cotillard est avant tout une bonne actrice. Et puis, je la connais depuis que j'ai 14 ans...» Oeuvre chorale donc, Les Petits Mouchoirs se veut un film à la fois sur l'amitié et sur la trahison de l'amitié. «La seule intimité arrive à la fin», dit-il.

«On s'aperçoit un jour que la vie va vite, confesse Canet. À force de se raconter des histoires en se mentant sur nos envies véritables, on passe à côté de l'essentiel. Après avoir perdu des proches, j'ai réalisé qu'on n'a pas beaucoup de temps à consacrer à ceux qu'on aime, et qu'il faut leur dire qu'on les aime, justement. On vit dans une société qui zappe, pendue au téléphone cellulaire, surconsommant. J'avais passé deux semaines avec des amis dans ma propriété de Cap Ferret, pour m'apercevoir que nous n'avions échangé que des banalités. Tout en surface! Aucun temps d'arrêt pour que chacun se demande: "Suis-je homosexuel? Suis-je avec la femme que j'aime vraiment?" Le seul moment où tu réalises la vacuité de ces rapports humains, c'est au coeur d'une dépression. Ça prend un gros choc. Il n'est pas facile d'apprendre et de choisir, mais on peut y arriver.»

Pas facile non plus de mettre en scène huit personnages en maillot de bain tout en demeurant concentré. Chaque acteur avait accepté de rester là-bas tout au long du tournage. Canet misa sur le réalisme du ton, aussi sur la liberté des acteurs. «J'ai tourné avec deux caméras pour les laisser libres d'aller et venir, recréant le film au montage.»

Tourner et jouer


Le scénario des Petits Mouchoirs s'étirait sur quatre heures. «Je savais que personne ne voulait d'un film aussi long, alors j'ai coupé à deux heures et cinq. Et ce fut un désastre. Il fallait couper deux personnages et le film ne marchait pas. À deux heures et demie, tout roulait. J'ai imposé cette longueur.»

Canet ne lit pas les critiques, qui lui font trop mal (en France, elles furent partagées), mais se dit conscient que plusieurs contestent le dénouement de son film, jugé trop mélodramatique. «Je voulais expliquer à quel point il est difficile d'enterrer quelqu'un. Et montrer des personnages enfin conscients de ce qu'ils sont et de ce qu'ils devraient être. Les spectateurs acceptent ou pas cette charge d'émotions.»

Un point choque les Québécois, sans sembler causer de commotion en France. Toutes ces chansons en anglais... «On n'entend aucune chanson française dans mes trois films, dit-il. Peut-être que c'est bizarre. Mais en français, j'aurais l'impression de trop souligner l'action. L'anglais est plus conventionnel. Il apporte une distance, alors que les chansons en français m'apparaissent plus lourdes, plus chargées. Pour moi, la musique ne repose pas seulement sur la signification des mots, mais sur la charge d'émotions.»

Réalisateur, Guillaume Canet revendique ce rôle de plus en plus. Il écrit un second scénario, avec James Gray cette fois (le cinéaste de Little Odessa et de Two Lovers), pour un thriller à tourner aux États-Unis, mais avec des fonds français. «J'ai décliné des offres de financement américain où je n'aurais pas eu le dernier mot sur le montage [final cut].»

Ça ne l'empêche pas de poursuivre sa carrière d'acteur, en tournage d'Une vie meilleure de Cédric Kahn, après Last Night de Massey Tadjedi, comédie romantique new-yorkaise avec Keira Knightley, sortie en février. Il est question qu'il participe aussi à un remake de La Guerre des boutons par Christophe Barratier. «Travailler avec de grands réalisateurs me fait grandir comme acteur, mais aussi comme réalisateur», précise-t-il.

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Cet entretien avec Guillaume Canet fut réalisé à Paris à l'invitation d'Unifrance.


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