Le cinéaste Jafar Panahi écroué et muselé

Jafar Panahi était assigné à résidence depuis sa sortie de prison en mai dernier.
Photo: Agence France-Presse (photo) Atta Kenare Jafar Panahi était assigné à résidence depuis sa sortie de prison en mai dernier.
Mohammad Rasulov, cinéaste iranien et assistant de Panahi, a écopé d'une peine identique de six ans de prison. L'avocate Farideh Gheyrat ira en appel, mais la notoriété internationale de Panahi, qui lui a longtemps servi d'armure contre son propre gouvernement, semble ternie et usée face aux rigueurs d'un régime qui défie désormais les imprécations planétaires.

Rappelons que, le 1er mars dernier, le cinéaste du Ballon blanc (Caméra d'or à Cannes) et du magnifique plaidoyer féministe Le Cercle (Lion d'or à Venise) interdit en son pays voilé, célébré et multiprimé pour tous ses films sur la planète festival, avait été arrêté à son domicile de Téhéran par des Gardiens de la révolution, avec perquisitions et saisies d'ordinateurs. On lui reprochait d'avoir tourné en juillet 2009 sous le manteau, à des fins cinématographiques, des images des manifestations et de la cérémonie ayant commémoré la mort de Neda Agha-Solam, victime des répressions policières après la réélection contestée du président Ahmadinejad.

Écroué pendant 88 jours dans des conditions terribles à la prison d'Évin, à Téhéran, réservée aux prisonniers politiques, et défendu par toute la communauté cinématographique à cor et à cri et à coups de pétitions, il avait entamé une grève de la faim en mai dernier en plein Festival de Cannes, où il n'avait pu siéger comme juré. Son siège était demeuré ostensiblement vide. On avait vu l'actrice Juliette Binoche dénoncer avec vigueur, larme sur joue, le sort du prisonnier politique. Le cinéaste avait été libéré après dix jours sans boire ni manger, en danger de mort, moyennant le versement d'une caution de 200 000 $, désormais assigné à domicile. Son procès s'est déroulé en octobre dernier, avec plaidoyer de Panahi se défendant contre une accusation d'incitation à la révolte et précisant que son travail n'avait pour but que de faire connaître la situation de l'Iran actuel. Il affirmait alors: «Seule une tolérance accrue pourrait sauver la nation.»

Combattant de la liberté

Sa dernière sortie publique s'était faite à Montréal, au Festival des films du monde en août 2009, comme président du jury de la compétition officielle. Arborant l'écharpe verte aux couleurs du parti d'opposition, il avait bravement confié sa résistance au régime d'Ahmadinejad, alors reconduit de façon douteuse. «Toute la population s'est manifestée contre l'insulte qui lui fut faite, confiait-il au Devoir. Elle ne peut tolérer cette élection truquée. Nous sommes nombreux. Nous vaincrons. Aucun régime ne devrait être théocratique et le ver est dans la pomme de ce gouvernement.» Cet artiste, qui aurait pu recevoir asile partout, refusait de quitter sa patrie mais y voyait ses récents projets refusés, en particulier ce film sur le conflit Iran-Irak dont il était un ancien combattant et qu'il brûlait de tourner.

Figure de proue de la Nouvelle Vague iranienne, au départ documentariste, Jafar Panahi avait été l'assistant d'Abbas Kiarostami pour le merveilleux film Au travers des oliviers, en 1994, chant de mémoire cinématographique. Cinéaste témoin et urbain, Panahi ancra surtout son oeuvre dans les rues de Téhéran, prêtant la parole à des êtres en quête de dignité. Outre Le Ballon blanc et Le Cercle, ses film Sang et Or, en 2003 (primé à Un Certain Regard à Cannes), et Offside, en 2006 (Ours d'argent à la Berlinade), mettaient en scène des humiliés et des obstinés qui refusent d'abdiquer. La condition des femmes fut pour lui un combat, et ses prouesses stylistiques furent un langage d'exception. Il contourna longtemps le système en présentant des synopsis divergeant de ses véritables projets, mais, depuis quatre ans, il se voyait débouté à tout coup.

Absent à Cannes, Jafar Panahi l'avait été tout autant au dernier Festival des films du monde et à la Mostra de Venise l'été dernier, où il était attendu. Le prochaine Berlinade l'a également invité à siéger au jury, du 10 au 20 février 2011, mais sa chaise, là aussi, devrait demeurer vide.

Le comité de soutien qui avait mobilisé en mai la communauté des cinéastes, après la première incarcération de Panahi, sera remis sur pied. Thierry Frémaux, le délégué général du Festival de Cannes, en a fait la promesse, tandis que le philosophe Bernard-Henri Lévy a accusé l'Iran d'avoir déclaré la guerre à ses artistes et à la société civile tout entière. Quant au ministre français de la Culture, Frédéric Mitterrand, il a dénoncé une atteinte inacceptable à la liberté de pensée et de création artistique, en réclamant pour Panahi une totale liberté. Intellectuels et artistes se mobilisent, mais le cinéaste a repris pour deux semaines le chemin de la prison, avant de pouvoir faire appel de sa terrible condamnation.

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Avec l'Agence France-Presse

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