10e Festival international du film de Marrakech - John Malkovich, homme-orchestre

John Malkovich rencontrant la presse à Marrakech. «Le cinéma m’est tombé dessus par hasard.»
Photo: Agence France-Presse (photo) Abdelhak Senna John Malkovich rencontrant la presse à Marrakech. «Le cinéma m’est tombé dessus par hasard.»

Président du jury au 10e Festival international du film de Marrakech, John Malkovich est un créateur mosaïque, qui saute d'un art à l'autre, et un internationaliste.

Le Devoir à Marrakech - Un beau sourire las, la célèbre voix traînante et un excellent français qu'il casse de son accent américain: John Malkovich. C'est son visage un peu asymétrique et ses yeux de chat qui lui confèrent cette aura inquiétante dont sa carrière s'est nourrie.

Soixante-dix films derrière la cravate, scénariste, cinéaste à ses heures (The Dancer Upstairs, en 2002), producteur (derrière Juno de Jason Reitman), homme de théâtre qui récolta un Molière en 2008 pour sa mise en scène de Good Canary. «La vraie passion de ma vie, c'est le théâtre, confesse-t-il, un art en mouvement.»

Malkovich a vécu dix ans en France et possède encore une maison à Bonnieux, dans le Luberon, où il se rend souvent, de Boston, pour passer ses vacances en famille. Il a voulu connaître la langue et la culture du pays. Toujours élégant (il possède sa propre marque de vêtements: Technobohemian) et mystérieux, comme il se doit.

On le rencontre, côté jardins, au fameux hôtel La Mamounia, palace mythique de Marrakech construit en 1923 que Churchill avait adopté, et où le tournage de L'homme qui en savait trop, de Hitchcock, s'était en partie déroulé en 1956.

John Malkovich n'avait jamais mis les pieds à Marrakech avant cette semaine, où il est président du jury de la compétition au festival. Le Maroc, il connaît un peu. C'est à Tanger qu'avait été tourné Un thé au Sahara de Bernardo Bertolucci, d'après Paul Bowles, en 1990. Mais il l'avoue candidement: retrouver dans son jury des acteurs comme Gael Garcia Bernal et Irène Jacob, qu'il appréciait déjà, c'est quand même le pied. Il y a aussi l'actrice chinoise Maggie Cheung et le cinéaste Benoît Jacquot dans ce jury de haut niveau. Les festivals sont comme des villes flottantes, où les amis se retrouvent, où des liens se nouent. Et la ville est si belle...

Les films? «Plusieurs m'émeuvent dans cette compétition, dit-il. Je suis bon public et un grand émotif, si vous saviez. Parfois je pleure juste parce que le film est bon. La dernière fois, c'était devant Les Mystères de Lisbonne, de Raul Ruiz.»

Le Maroc et la chic Mamounia vont bien à l'acteur américain, plus internationaliste que l'immense majorité de ses pairs compatriotes. Quand on a des origines croates par son père et mi-allemandes, mi-écossaises du côté maternel, on se sent chez soi partout. L'acteur des Liaisons dangereuses, des Souris et des hommes, de Mary Reilley, de Burn After Reading est en ce moment sur les écrans dans R.E.D., de Robert Schwentke, où il incarne un retraité de la CIA paranoïaque, rôle qui l'a beaucoup amusé.

Il a tourné souvent avec des cinéastes étrangers, de Bertolucci à Raul Ruiz (Le Temps retrouvé), de Manoel de Oliveira (Le Couvent, Je rentre à la maison) à Volker Schlondörff (Le Roi des aulnes), etc. «Travailler pour des cinéastes européens fut pour moi une vraie école d'ouverture d'esprit», dit-il. Mais Malkovich s'est ouvert l'esprit de bien des façons. Grand lecteur de Tolstoï et de Proust, entre autres écrivains. Pas étonnant qu'il ait été ravi d'incarner le baron de Charlus dans Le Temps retrouvé de Raul Ruiz, adaptant Proust et sa Recherche.

Quant au théâtre, il en a attrapé le virus très jeune, lui l'enfant d'agriculteurs d'Illinois, qui fonda sa propre troupe en 1976, The Steppenwolf Theater, en reprenant le titre d'un roman de Herman Hesse. «Le cinéma m'est tombé dessus par hasard.» C'était dans The True West en 1983. Puis Malkovich se retrouva en nomination pour l'Oscar du meilleur second rôle dès l'année suivante pour son rôle dans Places in the Heart, de Robert Benton. C'était parti.

Celui qui a incarné tant d'êtres inquiétants à l'écran précise ne pas ressentir d'affinités particulières avec les personnages dits méchants. «D'ailleurs, s'ils sont définis comme tels, c'est faute de nuances, parce que le cinéaste a raté son coup. Les gens mauvais pensent à peu près la même chose que ceux qu'on dit normaux, en fait. Et je ne juge jamais mes personnages.»

Cette année, à l'opéra Garnier de Paris, il jouait un tueur en série dans The Infernal Comedy: Confession of a Serial Killer. En janvier prochain, il sera Casanova dans la pièce de théâtre musicale Giacomo Variations, sur des variations de Mozart. «À partir d'un certain âge, on ne sait pas ce qui va arriver ensuite. Mieux vaut faire ce qui nous plaît tout de suite en diversifiant son tir.»

Chose certaine: cet acteur est bien le seul à avoir son nom dans le titre d'un film. En 1999, l'interprète se démultipliait dans le vertigineux Being John Malkovich, de Spike Jonze. «Mais j'ai traité ce personnage et ses variations comme des êtres de fiction, bien entendu. C'est mon boulot d'incarner des êtres différents les uns des autres, mais on ne les creuse pas assez, il me semble. Il faudrait y mettre plus de temps. Il est difficile de devenir quelqu'un d'autre. Chaque personne que tu représentes possède un point de vue différent sur les choses. Et c'est ça qu'on doit cerner.»

Malkovich dit adorer incarner les seconds rôles, voire les troisièmes, ou de simples apparitions éclair. «Souvent ce sont des personnages plus intéressants que les premiers rôles. Tu arrives avec ton punch. Tu fais monter le ton et après tu pars. Aux autres de se débrouiller avec le film.»

Un pied à l'opéra, l'autre dans la superproduction Transformers 3 de Michael Bay, où on le verra jouer bientôt avec des robots, il varie les genres, change de forme d'expression. Malkovich adapte pour le théâtre la biographie du magnat Howard Hughes. Il aimerait bien réaliser un film tiré de Détectives sauvages, du grand auteur chilien Roberto Bolano. «Il n'y aura pas de retraite pour moi, promis! conclut-il. J'aime trop ce que je fais.»

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