Bousculer l'indifférence

Vendredi prochain, après son lancement en ouverture du Festival du nouveau cinéma, 10 1/2 prendra l'affiche en salle. Second long métrage de Podz, après Les Sept Jours du talion, celui-ci pose un regard sur la détresse et la révolte d'un enfant, avec lueur d'espoir au bout.
C'est un jeune garçon brisé qui fait battre le pouls de 10 1/2. En braquant surtout sa caméra sur le huis clos d'un centre de rééducation, où un enfant sauvage (Robert Naylor) vocifère et casse tout, Podz, alias Daniel Grou, a voulu bousculer une indifférence collective. «C'est la société qui doit se remettre en cause, estime-t-il, dans sa façon de traiter ses marginaux, ses vieux, les handicapés, les enfants à problème. On aime mieux prendre un verre, regarder Sex in the City, que d'affronter l'ombre. J'ai voulu montrer un état de fait, sans juger, en disant: voici!»Duel entre Tommy qui hurle sa vie et un éducateur (Claude Legault) parfois exaspéré, surtout désireux de tirer «le garçon irrécupérable» de son gouffre, le film, tourné dans l'ancien centre de Boscoville, s'appuie sur une fragile ligne de confiance au bord de la rupture.
Au départ: une idée, quelques lignes. Le scénariste Claude Lalonde a déjà travaillé comme éducateur dans un centre d'accueil et voulait en parler. Le producteur Pierre Gendron, engagé dans un projet sur l'ex-juge à la Chambre de la jeunesse Andrée Ruffo, était déjà sensible au sort des jeunes en difficulté. Il a tout de suite pensé à Podz pour diriger 10 1/2, tant son univers lui paraissait adapté à celui du petit révolté, au centre de l'action. «Le film m'apparaît en définitive comme la continuité du Leolo de Jean-Claude Lauzon», dit le producteur.
Le jeune Robert Naylor, né en 1996, aura fait un saut rapide dans le XXe siècle, mais, à force de doubler des films depuis cinq ans, de jouer dans des pubs aussi, il a fini par connaître la musique et souhaite faire une carrière de comédien. Il est d'ailleurs à la distribution du film américain Immortals, de Tarsem Singh. Quand même, Tommy est son premier vrai rôle. Crier, donner des coups, l'expérience fut éprouvante et épuisante. «Le soir, t'es brûlé. Tout en jouant un garçon qui ne me ressemble pas, je le comprenais. Je ne suis pas un colérique, mais faire autant de bruit m'a porté à m'intéresser aux enfants en difficulté. Ils veulent juste survivre.» Robert Naylor, à l'encontre de Podz et de Claude Legault, n'est pas allé dans un centre de rééducation pour connaître le milieu. «J'avais peur de trop m'inspirer des histoires des autres et préférais rester le plus naturel possible.»
Podz compare Tommy au petit garçon dans L'Exorciste. «Au Moyen Âge, il aurait été considéré comme possédé. Difficile de s'occuper d'enfants aussi violents que Tommy. Claude Legault dans la peau de Gilles, l'éducateur, pète parfois les plombs. C'est humain. Il a des montées d'émotion, mais se tiendra quand même à ses côtés.»
Le cinéaste a situé son action en 2001, à une époque où les méthodes étaient plus violentes dans les centres de réadaptation. «Les éducateurs sont quand même davantage à l'écoute aujourd'hui. Les lieux ressemblent moins à une prison. Il y a des sorties, une communication plus humaine. Mais pour les garçons plus vieux, ça se passe souvent très mal encore. Comparé à ce que j'ai vu et entendu sur la question, mon film est soft.»
Aux yeux de Claude Legault, qui a assisté durant une journée des éducateurs avant de jouer le rôle de l'un d'entre eux, son personnage ne pouvait se permettre d'être trop émotif. «Les enfants font tout pour provoquer, dit-il. Ils cherchent aussi l'affection dont on les a privés. J'ai construit Gilles, mon personnage, à partir du texte en causant avec le scénariste pour chercher des mots qui sonnaient vrai. Mon rôle est celui d'un être patient face à un impatient. Gilles décide de s'attaquer à l'élément le plus dur du groupe: ce Tommy, dont personne ne veut. Il crée un contact avec lui, mais parfois le bouscule fort. Et le petit réagit à son agressivité.»
Pour Legault, ce fut un rôle de maturité. «Podz m'envoie dans toutes sortes d'avenues nouvelles, constate le comédien, qui portait à bout de bras son précédent film très dur, Les Sept Jours du talion. On peut faire de la répression envers les bandits, mais il importe d'abord d'effectuer un travail en amont en aidant les parents. Sauf que le gouvernement coupe dans tous les secteurs d'assistance à la population. 10 1/2 est un cri dans le désert, mais un cri pareil.»
Podz a refusé l'appui de la musique, qui sert au cinéma à indiquer les passages intenses. «On n'est pas au spectacle. Tout ce que vit Tommy est dur. Pourquoi souligner?»
L'interprète du rôle du père de Tommy, Martin Dubreuil, est excellent. On déplore qu'il ne soit pas plus longtemps à l'écran, tout comme la mère (Felixe Ross), à peine entrevue. «Il y avait davantage de scènes en flash-back, répond Podz, mais tout devenait trop explicatif, trop didactique. Une scène de party avec la mère a été coupée. Pourquoi en mettre trop? Personne ne s'est occupé d'aider les parents non plus. À quoi bon les charger? C'est comme pour les autres enfants. On a donné un ami à Tommy, mais sans développer beaucoup les autres personnages des enfants du centre, avec une volonté de concentration.»
Cinéaste et scénariste ont apporté au film une fin abrupte, ouverte, poussant le spectateur à poursuivre le travail. «Un film, c'est une fenêtre, une pointe de tarte. Apportez le débat chez vous. Réfléchissez-y», suggère Podz.