39e Festival du nouveau cinéma - Cap vers un art en mutation

C'est le plus vieux festival de cinéma canadien, même s'il s'affiche comme le plus jeune. Un point de ralliement intergénérationnel à l'écoute des tendances et des nouvelles technologies, mais d'abord cinéphile. À voile, à vapeur et au cyberespace, du 13 au 24 octobre à Montréal.
On les sent cette année sur la même longueur d'onde, eux qui ont vécu leurs tiraillements: Claude Chamberlan, loup brûlant de la première heure, aujourd'hui directeur artistique du FNC; Nicolas Girard-Deltruc, à la direction générale, plus cartésien. Tous deux sont toutefois visionnaires, pointant un cap et l'autre.Les commandants du rendez-vous de l'automne se sentent plus que jamais arrimés à l'avenir. Parce que tout change et qu'ils entendent s'en faire l'écho. Claude Chamberlan désire quand même maintenir le cap sur la fidélité à la qualité et à la vision cinéphilique. «Surtout, ne pas dénaturer le festival!»
Délicat jeu d'équilibriste
Au menu de cette 39e édition du Festival du nouveau cinéma roulant à Montréal: 295 films, dont 33 premières mondiales. 10 1/2, de Podz, ouvre le bal et Curling, de Denis Côté, le clôt. De nombreuses performances, installations, versions multiplateformes et nouvelles technologies se greffent à l'événement. Plusieurs visiteurs de marque sont attendus, dont les Français Gaspar Noé, Mathieu Amalric, Louis Garrel et l'Américain Jonathan Caouette.
«Le cinéma est en transition et en mutation, déclare Nicolas Girard-Deltruc. On veut l'accompagner dans son parcours. À l'heure de la remise en question des lieux de diffusion — regarde ce qui s'est passé avec Ex-Centris —, il faut s'adapter aux nouvelles plateformes et atteindre avec elles le plus large public possible. Les jeunes préfèrent regarder un film sur iPod, soit! On en profite pour leur proposer une sélection de dix courts métrages à 99 cents et des longs à 4,99 $, ou de vivre une expérience collective et interactive à partir de leurs cellulaires sur la place des Festivals. Les nouvelles technologies permettent aussi de rejoindre les régions avec des films indépendants, d'ouvrir là-bas l'éventail de l'offre. Si ça marche, les exploitants de salles pourront ensuite prendre davantage de risques.»
Mais le cinéma est avant tout sur les grands écrans, avec entre autres de gros titres très attendus, présentés à Cannes, à Venise ou à Toronto. Le festival de la Ville reine en a eu souvent la première nord-américaine, les dédouanant en quelque sorte. Ses dates servent le FNC, les liens de ce dernier avec le Festival de Toronto également. Obtenir les copies (avec sous-titres français, si possible) n'est pas pour autant une mince affaire.
Ainsi, les cinéphiles auront enfin l'occasion de voir au Québec, en présentation spéciale, la poétique Palme d'or Uncle Bonmee Who Can Recall His Past Lives, du Thaïlandais Apichatpong Weerasethakul. Comme d'autres oeuvres très attendues, telles Biutiful d'Alejandro González Iñárritu, Another Year de Mike Leigh, Tamara Drewe de Stephen Frears, Tournée de Mathieu Amalric, The Sleeping Beauty de Catherine Breillat et L'Illusioniste de Sylvain Chaumet.
Le danger (comme à Toronto) est que ces gros canons fassent de l'ombre aux découvertes. Or Claude Chamberlan invite d'abord le public à explorer, à sortir des valeurs sûres.
Il s'avoue particulièrement fier de son volet compétitif. Des oeuvres comme le puissant Année bissextile, film mexicain de Michael Rowe, d'origine australienne, sont en compétition pour la Louve d'or, aux côtés, entre autres, de Le quattro volte de l'Italien Michelangelo Frammartino, primé à Cannes et à Annecy, et de Jo pour Jonathan du Québécois Maxime Giroux.
«Les plus grandes découvertes sont aussi dans les sections Panorama international et Focus, précise Claude Chamberlan. Focus ouvre avec l'extraordinaire documentaire sur Omar Khadr Vous n'aimez pas la vérité: quatre jours à Guantánamo, de Luc Côté et Patricio Henriquez. On a déniché aussi deux films québécois de la marge: King of the l'Est de Simon Gaudreau et Simplement nous... de David Tousignant et Tomi Grgicevic, une oeuvre communautaire. On veut ouvrir des horizons chez nous aussi.».
Coups de chapeau
«Le but d'un festival est de servir le public, mais aussi l'industrie et les créateurs, de ne pas avoir de censure, de donner libre accès à des oeuvres parfois interdites dans leur pays», déclare Nicolas Girard-Deltruc. Le dernier long métrage du Chinois Wang Bing, The Ditch (Le Fossé), qui fit sensation à Venise, sera présenté en présence du cinéaste, qui offrira un cours de maître. «Cette oeuvre bâillonnée dans son pays dénonce les camps de concentration sous Mao. Wang Bing vit aujourd'hui entre la France et la Mongolie», précise Claude Chamberlan.
Son vieux rêve se réalise: inviter le cinéaste français Pierre Étaix à présenter son oeuvre. Issu de l'univers du cirque, gagman sur Mon oncle de Jacques Tati, grand admirateur de Buster Keaton et du duo Laurel et Hardy, il réalisa, entre autres, l'extraordinaire Yoyo (1964), hommage au clown (incarné par lui), mais un imbroglio juridique l'avait privé durant vingt ans des droits d'exploitation de ses films. Cette année, l'intégrale de son oeuvre restaurée est relancée, avec Pierre Étaix pour les présenter.
D'autres hommages sont rendus aux disparus, dont un à Pierre Falardeau avec la restauration du Party et le lancement du documentaire Falardeau de German Gutierrez et Carmen García. Aussi, à l'Allemand libre, érudit et original Werner Schroeter, avec projection de son film Malina, et au producteur et fonctionnaire André Lamy, qui sauva le FNC à deux reprises. Un coup de chapeau sera également donné aux regards indépendants africains.
«Aux enfants, on commence à projeter des oeuvres en 3D non commerciales, ajoute Nicolas Girard-Deltruc; 3D classique avec l'animation finlandaise Moomins and the Comet Chase de Maria Lindberg, sur une musique de Bjork, et Turtle: The Incredible Journey, documentaire animalier sur les tortues de mer, en 3D stéréo. On veut développer une vraie section en trois dimensions.»
Tout ça coûte cher, et si le FNC a recruté des partenaires privés — dont Quebecor, ce qui fit grincer des dents à plusieurs l'an dernier, mais il pousse à la roue —, au point d'avoir doublé de budget en trois ans, ses dirigeants déplorent un financement minceur de l'État, à 25 % du budget seulement. «L'industrie et les créateurs nous suivent, précise Nicolas. Il faut que le gouvernement s'aligne. On fait des miracles avec 2,7 millions. Ça nous en prendrait 4 ou 5 pour réaliser tous les projets qu'on a en tête.»