Coup de coeur coup-de-poing

Il s'appelle Sang-hoon et gagne sa vie en cassant tout ce qui peut l'être pour le compte d'un prêteur sur gages. Il est d'un naturel violent et teigneux, comme son paternel, et n'apprécie pas le moins du monde la compagnie de ses semblables. Elle s'appelle Han, elle a quinze ans et subit les humiliations combinées de son frère et de son père, dont elle s'occupe pourtant avec diligence chaque jour en rentrant de l'école. Elle a la répartie musclée et ne croit guère en la bonté de l'être humain. Entre ses deux solitaires au bagout ordurier, une amitié inattendue naîtra.
Rencontré lors de l'édition 2009 de Fantasia quelques jours avant sa consécration là-bas, le scénariste, réalisateur, producteur et comédien Yang Ik-joon révélait au Devoir s'être inspiré de sa propre existence et de celle d'amis proches pour l'écriture de Breathless. «J'éprouvais la nécessité de tourner cette histoire. C'était urgent; une question de survie», confiait-il alors. Plus que convaincu, le jury lui décernera les prix du meil-leur film et du meilleur acteur, un schéma qui se répétera ailleurs par la suite.Monté avec pas grand-chose sinon l'essentiel, à savoir un bon scénario, de bons acteurs et de l'intégrité à revendre, Breathless cogne dur, mais émeut autant qu'il secoue. Avec une acuité rare et un grand souci d'authenticité, le cinéaste néophyte propose une radiographie sans concession du cycle de la violence familiale, la thèse défendue suggérant que celle-ci se transmet de père en fils et est vouée à se répéter tant que le dernier maillon ne rompt pas la chaîne à laquelle il est lié.
Le titre original, Ddongpari, signifie en substance «mou-che à merde» et, à défaut d'être chic, illustre parfaitement l'opinion que les deux protagonistes ont d'eux-mêmes pour avoir gobé et intégré le reflet que leur a renvoyé leur vie dans un environnement défavorisé et abusif. Élégant, ce long métrage, âpre et impoli, n'aspire assurément pas à l'être. Cette honnêteté farouche constitue d'ailleurs l'une des nombreuses qualités d'un film qui se compare avantageusement à deux autres drames sociaux similairement crus, The War Zone, de Tim Roth, et surtout Nil by Mouth, de Gary Oldman.
Sans doute le plus bel accomplissement de Yang Ki-joon, cela dit, tient-il à ce qu'il soit parvenu à déceler, puis faire fleurir, le reste d'humanité qui sommeillait dans un personnage de prime abord bien peu attachant. Il en résulte un portrait poignant, triste certes, mais pas désespéré. Son auteur, un beau cas de résilience créatrice, en est la preuve vivante.
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Collaborateur du Devoir