Olivier Assayas témoigne

Son film Carlos, sur le célèbre terroriste d'origine vénézuélienne, est lancé dans sa version longue (cinq heures trente) au Festival du nouveau cinéma, mais prendra l'affiche en format écourté (deux heures quarante) le 15 octobre.
Au dernier Festival de Cannes, la projection intégrale de Carlos avait soulevé bien des débats. D'abord retenu en compétition par le directeur artistique Thierry Frémaux, il avait été, une heure avant l'annonce de la sélection, retiré du lot par les responsables des associations professionnelles siégeant au conseil d'administration, qui attaquaient son identité télévisuelle. De fait, la frontière était mince. Diffusé sur Canal + en trois épisodes, au lendemain de la projection cannoise, il appartenait autant au petit qu'au grand écran. La critique avait crié au scandale, tant ce Carlos, tourné comme un film et meilleur que bien des concurrents à la Palme d'or, aurait mérité de concourir. «L'affaire Carlos» embêtait Olivier Assayas plus qu'autre chose. «Le débat sur le film a escamoté l'essentiel pour atteindre l'anecdotique, soupire-t-il. Moi, je m'intéressais au destin d'un militant tiers-mondiste transformé par son engagement dans l'action révolutionnaire, qui cherchera à construire son propre mythe.»L'idée est venue de Daniel Leconte, de Canal +, qui a produit le film, mais le synopsis ne comportait qu'un épisode de la vie du terroriste superstar des années 70 et 80, Vénézuélien propalestinien. «J'ai pensé qu'il serait plus intéressant d'aborder l'itinéraire de Marcos en le reliant à celui du terrorisme moderne, à travers son regard à lui.»
Une oeuvre complexe
Assayas n'a pas cherché à rendre le personnage sympathique pour autant: égocentrique, coureur de jupons, le beau, fringant et violent révolutionnaire avec béret de Che, qui tue et kidnappe pour la cause palestinienne, finira gros et encombrant mercenaire, cueilli au Soudan par les Français. La prise d'otages de 1975 au siège de l'OPEP à Vienne par le commando qu'il dirige, avec atterrissages divers à Alger et à Tripoli, compte parmi les scènes fortes d'un film balisé autant par ses faits d'armes que par ses conquêtes amoureuses.
Jamais le cinéaste français d'Irma Vep, de Clean et de L'Heure d'été n'avait travaillé à une oeuvre aussi complexe. À chaque étape, il crut le projet impossible. Cette grosse production internationale (13 millions d'euros, 120 personnages, deux ans de travail et 92 jours de tournage, avec tous les décalages horaires, de la Hongrie au Liban, en passant par Paris, Londres, trois villes allemandes, les Pays-Bas) est tournée en arabe, en allemand, en anglais, en français et en espagnol. «Je suis content d'avoir tourné les scènes du Moyen-Orient au Liban plutôt qu'au Maroc, comme tant d'autres productions qui donnent une couleur maghrébine à des univers différents. Notre casting en Jordanie, au Soudan, en Syrie, au Liban est fidèle aux réalités décrites.» Le tout est filmé en cinémascope, pour capter le moment vivant. Ajoutez des effets spéciaux. «Canal + m'a donné une totale liberté.»
Assayas n'en revient toujours pas de sa chance d'être tombé sur l'acteur vénézuélien Edgar Ramirez (sensationnel) pour entrer dans les divers avatars de Carlos. Jouant sur tous les registres, il dut engraisser de 15 kilos pour devenir l'ogre aviné des jours sombres. «Fils de diplomate, Edgar parle cinq langues, était capable de passer de 20 à 40 ans, possédait la puissance, l'énergie du rôle et une compréhension du contexte historique. Gael García Bernal [qui incarna le Che de Soderbergh] aurait voulu jouer Carlos, mais je n'arrivais pas à le voir dans le rôle.»
Fiction documentée
C'est à partir des recherches déjà effectuées par le journaliste Stephen Smith (auteur du scénario avec Assayas et Dan Frank), des enquêtes complémentaires, de la lecture des biographies, des coupures de journaux d'époque, etc., que la trame s'est construite. «Je revendique le film comme fiction, mais les faits sont documentés, sauf quelques segments intimes.»
Assayas a voulu épouser le point de vue de Carlos sans le rencontrer pour autant. «Il réinvente beaucoup sa vie et n'est pas crédible, même qu'il a un peu perdu la boule, mais j'ai rencontré Hans-Joachim Klein, qui a fait défection au terrorisme, écrit un livre sur le sujet et s'est montré un témoin très fiable.»
Au chapitre de l'anecdote, ajoutons que le véritable Carlos, qui se tape depuis quinze ans la perpète pour attentats divers à Clairvaux, en France, avait réclamé un droit de regard, de coupes et de modifications sur le scénario, assignant Canal + avant d'être débouté en avril dernier. «Je savais que le tribunal nous donnerait gain de cause. Sinon, ç'aurait créé une jurisprudence et empêché toute bio non autorisée.» Au finish, Carlos, du fond de sa geôle, a critiqué le film. «Mais surtout sur des points de détail», précise le cinéaste.
Deux films, donc. Un long, un plus court. «Ils ont chacun leur identité propre, affirme Assayas, tout en précisant n'avoir pas coupé de segments entiers, mais plutôt retravaillé à l'intérieur des scènes. «Ç'a causé des problèmes techniques énormes.»
Son prochain film sera plus pacifique, intime, tourné en France avec Juliette Binoche. Rien à voir avec ce Carlos qui fut son baptême du feu.