Dans la langueur d'un monde clos

Les héroïnes du cinéma de Jane Campion affichent un caractère volontaire mais sont souvent broyées par un handicap (The Piano), des désirs aveuglants (Holy Smoke, In the Cut) ou une fièvre créatrice proche de la folie (An Angel at My Table). Dans ce tableau de famille, Fanny Brawne (Abbie Cornish, une jeune Nicole Kidman vibrante, aux charmes naturels et non tristement plastifiés) semble plutôt sage, fascinée par la mode de son époque, celle de l'Angleterre du début du XIXe siècle.

Elle l'est par contre un peu moins par la poésie de son ténébreux voisin, John Keats (Ben Whishaw, l'un des Bob Dylan du film I'm not There et dont le physique émacié sert très bien le rôle). Lui-même trouve cette jeune fille plutôt superficielle, mais leur indifférence mutuelle va vite se transformer en passion brûlante... et chaste.

Bright Star évoque cette relation particulière par touches délicates et dans le climat champêtre d'une « banlieue » londonienne, la verdoyante Hampstead. Car en 1818, cet endroit bucolique semble bien loin du brouhaha de la capitale, lieu d'inspiration par excellence pour un jeune poète fauché, et quel-que peu désoeuvré, comme Keats. Toujours flanqué d'un collègue prêt à partager sa misère, Charles Brown (Paul Schneider) veille sur Keats comme une louve; c'est sa manière peu élégante de protéger son ami des tentatives de rapprochement de Fanny, de plus en plus fascinée par sa poésie, mais d'abord par son humanité (au chevet de son frère mourant) et sa grande fragilité (la tuberculose va l'emporter en 1821, à l'âge de 25 ans).

Il s'agit d'une histoire d'amour, mais celle-ci, sous le regard de Jane Campion, se déploie au fil des saisons dans la langueur d'un monde clos, quelque peu étouffé par les conventions et paralysé par les ragots puritains. Cette union plus spirituelle que charnelle, Bright Star en évoque le caractère absolu, ponctué de discussions sur la valeur de la poésie, la futilité des apparences et un malaise profond, dans le cas de Keats, d'être incompris et peu reconnu. Dans ce contexte, Fanny fait office de motivatrice, de spectatrice dévouée cherchant à comprendre l'oeuvre du poète en explorant son écriture et celle des illustres prédécesseurs qui ont influencé Keats.

Le défi de la représentation de la littérature, et tout particulièrement de la poésie, au cinéma est en partie relevé grâce à la présence incandescente des deux interprètes, évitant les clichés du caractère exalté de l'artiste en transe ou celui de l'amoureuse transie. Cette retenue, illustrée avec la finesse d'une cinéaste sensible aux non-dits et aux regards équivoques, se moule à la beauté luxuriante qui entoure ce couple qui n'ose dire son nom, une beauté captée avec toute la grâce du directeur photo Greig Fraser et accompagnée des musiques discrètes de Mark Bradshaw.

Le tableau n'est pourtant pas d'une contemplation entièrement béate et admirative. Il s'y glisse ici et là des plages d'ennui et de ces moments suspendus à la composition irréprochable mais qui n'ajoutent rien à l'aspect contraignant d'une liaison à bien des égards dangereuse et impossible. Les écueils d'un tel sujet, son aspect insaisissable, semblaient même gravés sur la tombe de Keats, lui qui a rédigé son épitaphe: « Ici repose un homme dont le nom était écrit sur de l'eau. »

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Collaborateur du Devoir

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