De l'importance d'avoir l'air belge!
Benoît Delépine et Gustave Kervern cultivent un humour si particulier, tout à la fois noir, absurde et corrosif, que les deux réalisateurs français passent pour... des Belges. «Ça nous arrange... et les Français sont si détestés!», affirme Gustave Kervern en rigolant au bout du fil, «en train de faire le plein dans une station-service à Angoulême». C'est dans ce cadre enchanteur (?) que le coréalisateur de Louise-Michel, son troisième long métrage, nous a causé de son amour pour la comédie à saveur sociale, et bien sûr pour les Belges.
En effet, Louise-Michel met en vedette un tandem belge inimitable, avec d'un côté la grande Yolande Moreau, qui a récemment donné à la peintre naïve Séraphine toutes ses lettres de noblesse, et l'attachant Bouli Lanners, que l'on a pu découvrir dans Eldorado, road-movie où la Belgique semble aussi grande que les États-Unis. Leurs personnages vont s'associer pour liquider un patron qui n'éprouvait aucun remords à fermer une usine en Picardie. Mais à l'heure de la mondialisation et des paradis fiscaux, trouver un responsable équivaut à chercher une aiguille dans une botte de foin.Gustave Kervern savoure bien sûr le succès de Louise-Michel, à la fois populaire, critique et festivalier (Prix spécial du jury à Sundance et Prix du meilleur scénario à San Sebastian). Mais ce synchronisme troublant du film avec la situation économique actuelle — et en France, le phénomène des patrons séquestrés par des employés mécontents — relève à la fois du hasard et du désir toujours présent chez eux d'épingler les trop riches et les trop puissants. D'autant plus que, sur Canal Plus, ils sévissent depuis de nombreuses années dans une émission d'humour intitulée Groland, pays imaginaire où toute référence à la France n'est jamais fortuite. «Vous savez, séquestrer des patrons, c'est une tradition française, précise Kervern. Avec la crise, le phénomène s'est amplifié. Les capitalistes critiquent cet aspect revendicateur de la France, mais je suis fier de voir des gens qui se mobilisent, qui ne croient pas que les lois du marché sont inéluctables.»
Aux limites du surréalisme
C'est d'ailleurs le cas de Louise, ouvrière dont la soumission n'est qu'apparente, acoquinée à Michel, tueur à gages qui n'est en fait qu'un minable doublé d'un frimeur. «Le film est un réservoir de paumés», souligne le cinéaste, mais attention, la vengeance n'est pas toujours douce dans le coeur des damnés de la terre. D'ailleurs, les anciens marxistes et autres anarchistes de salon auront déjà compris le clin d'oeil à la célèbre militante anarchiste française Louise Michel (1830-1905). «À la fin de nos films, précise celui qui a travaillé quelques années à la version française de Surprise sur prise, on présente toujours quelqu'un d'emblématique, mais je ne saurais vous dire de quelle manière l'idée a surgi; la construction d'un film, c'est toujours un peu bancal, ou comme un cube Rubik. D'ailleurs, quand on s'est aperçus que Louise Michel s'habillait souvent en homme, on a voulu jouer sur l'ambiguïté homme-femme.»
Et il faut voir de quelle manière ce thème est présenté dans ce film irrévérencieux, bousculant tous les tabous sans faire bouger inutilement la caméra. Même si Yolande Moreau a hésité à incarner cette «ambiguïté» — son personnage n'est pas le seul à baigner dans un flou identitaire... — et que les cinéastes ont aussi douté un temps de sa pertinence, ils ont fini par écouter leurs envies absurdes, aux limites du surréalisme, l'une de leurs meilleures cartes. «Le film aurait pu tenir sans cet aspect, comme un Ken Loach, concède Gustave Kervern, même si c'est présenté de manière très légère.»
Cette légèreté, il la revendique pour deux, d'où leur affection profonde pour les acteurs belges, qu'ils apprécient «pour leur capacité à déconner, à ne pas se prendre au sérieux, à avoir un naturel que n'ont pas les Français». Pourtant, au moment de notre entretien, alors que le tandem était en période de repérage — et à une semaine du tournage de son nouveau film intitulé Mammuth! —, Gustave Kervern s'apprête à affronter deux monstres sacrés du cinéma (français), Gérard Depardieu et Isabelle Adjani. Un formidable coup médiatique pour deux cinéastes qui connaissent enfin au cinéma la renommée qu'ils ont depuis longtemps à la télévision. Mais ce Belge de coeur n'est pas dupe d'un milieu «qui est une "business" et pas autre chose» et qui explique la présence de Depardieu dans leur prochain film de manière prosaïque: «Je crois bien qu'il n'a pas vu Louise-Michel, mais en a entendu parler. C'est ce qui l'a poussé à accepter.» Il ne sait pas ce qu'il manque.
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Collaborateur du Devoir
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Louise-Michel prendra l'affiche à Montréal le vendredi 7 août.