Pedro Almodóvar et Penélope Cruz au 62e Festival de Cannes - Le tandem mythique surfe sur la passion

Penélope Cruz hier après-midi sur la Croisette. Avec Étreintes brisées, Almodóvar met en scène l’actrice espagnole pour la quatrième fois.
Photo: Agence France-Presse (photo) Penélope Cruz hier après-midi sur la Croisette. Avec Étreintes brisées, Almodóvar met en scène l’actrice espagnole pour la quatrième fois.

Cannes — C'est tout le poids du star system qui vous tombe dessus quand Penélope Cruz et Pedro Almodóvar arrivent au Palais. Tout à coup, les gardes du corps se font plus nombreux, les photographes plus crépitants. Et quand la belle Penélope vous frôle à la sortie de la salle dans son élégant fourreau pêche, vous avez l'impression que deux continents ont dérivé avant de reprendre leurs trajectoires respectives. Le sien, sous la bulle de verre de la célébrité; le vôtre, sur son bonhomme de chemin. La «peopolisation» est un miroir aux alouettes, mais Cannes n'en finit plus de répercuter son reflet.

Quant à Pedro Almodóvar, si souvent présent au fil des ans sur la Croisette, pour recevoir des prix ou en remettre, il attend toujours ici sa Palme d'or. C'est même devenu une sorte de running gag ici. Au point où le cinéaste de Tout sur ma mère se sent obligé de préciser qu'il repart vendredi... mais se fera un plaisir de revenir dimanche, le jour du palmarès, si quelqu'un l'appelle...

Une réception plutôt tiède

Avec Étreintes brisées, Almodóvar met en scène Penélope Cruz pour la quatrième fois. Tandem mythique au cinéma, ils s'adorent dans la vie. Il se dit timide, se montre toujours loquace et attachant. Penélope semble se tenir dans son ombre. Elle avait l'air triste, hier après-midi. Les journalistes avaient applaudi le film, mais sans ovation.

L'actrice désormais oscarisée considère que ce scénario est le meilleur d'Almodóvar, le plus audacieux, le plus courageux. Mais... Étreintes brisées a déjà pris l'affiche en Espagne, flanqué d'une réception plutôt tiède. La griffe, les couleurs (ici avec forte tonalité de rouge), les prises de vue extraordinaires, la fluidité, l'audace des plans et Penélope Cruz royale; tout Almodóvar est au poste, avec une maîtrise accrue par la maturité. Hélas! Le scénario a du mal à tenir la route et à captiver. Une Palme serait source d'étonnement, à moins qu'elle ne serve à couronner sa brillante carrière.

Sa tragi-comédie aborde la passion, celle d'une belle jeune femme entretenue par un richard (Penélope), enflammée par le réalisateur qui lui donne un rôle (Lluis Homar): un amour fusionnel, suscitant jalousies, soifs de vengeance et fuite des tourtereaux sur les falaises de Lanzarote, avec clin d'oeil au Voyage en Italie de Rossellini. Un accident fera perdre la vue au cinéaste. Étreintes brisées s'offre deux temps d'action: avec héros d'abord vieux et aveugle coupé de ses souvenirs, puis fringuant dans les flash-backs.

Une image emblématique du film: celle où le réalisateur aveugle, touchant du doigt l'image vidéo, sombre et floue de son dernier baiser d'amour, flotte comme un ange. «Je suis convaincu que le cinéma peut améliorer la vie», dit-il, en justifiant un dénouement qui court vers sa lumière.

Il perçoit son film comme une métaphore de l'Espagne devenue amnésique après les années de franquisme. «Mais 30 ans plus tard, il est indispensable de retrouver la mémoire, sinon les anciennes blessures ne guériront jamais.» À ses yeux, une personne qui n'entre pas en communion avec l'être humain ne fera jamais un bon réalisateur. «Mes acteurs m'autorisent à toucher leur fibre intime, à pénétrer leurs zones de douleur.» Il joue d'ailleurs tous les rôles afin d'expliquer ses intentions aux comédiens. «Il m'est arrivé de faire un cunnilingus à l'actrice pour montrer à l'acteur comment faire...» confesse-t-il en riant.

Plus son histoire est extravagante et exagérée, plus Almodóvar, qui en connaît un bout sur l'outrance, demande aux interprètes de jouer de façon réaliste. «Il donne des directives précises, affirme Penélope Cruz, alors que Woody Allen [qui l'a dirigée dans Vicky Cristina Barcelona] nous laisse improviser.»

Étreintes brisées comporte un film dans le film: Filles et valises, remake de Femmes au bord de la crise de nerf. Almodóvar sentait le besoin d'insérer une comédie. Or, en plagiant une de ses propres oeuvres, il n'avait ni droits d'auteur à payer, ni scrupules à transformer l'action. «De plus, j'avais l'impression d'être entouré par les fantômes du plateau de Femmes au bord de la crise de nerf.» Ce film qui lui valut le succès mondial en 1987 fera l'objet de deux remakes aux États-Unis, l'un en télésérie, l'autre sur une scène de Broadway.

Le cinéaste espagnol a toujours préféré mettre des actrices en scène. Ayant été entouré de femmes au cours de son enfance, il les trouve plus fortes, plus solides que les hommes. «Mais pour Étreintes brisées, les sexes ont la parité. Pour tout dire, les personnages masculins m'ont toujours intimidé et inspiré des rôles terribles. Mais on en retrouvera de plus en plus dans mes films. J'ai franchi ce cap.»

Almodóvar en a contre le cinéma hollywoodien. Dans Étreintes brisées, un producteur envieux fait en cachette un mauvais montage des Filles et valises, pour détruire la carrière du film. «Cette situation est impossible en Europe, où les droits des créateurs sont protégés, mais elle est monnaie courante aux États-Unis, avec les dérives éthiques que cela comporte.»

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