Une femme chez les hommes

La cinéaste n’était pas une fan de poésie romantique, mais après avoir lu une biographie de Keats et ses lettres d’amour à Fanny, elle s’est passionnée pour son oeuvre et cet amour fulgurant.
Photo: Agence Reuters La cinéaste n’était pas une fan de poésie romantique, mais après avoir lu une biographie de Keats et ses lettres d’amour à Fanny, elle s’est passionnée pour son oeuvre et cet amour fulgurant.

Cannes — Sous une vraie pluie de mousson de petit matin qui transformait la Croisette en piscine hors terre, les festivaliers se sont rués hier sur Bright Star de Jane Campion. Cette cinéaste timide, au visage anguleux à la Virginia Woolf, est membre d'un sélect boys's club.

La Néo-Zélandaise Jane Campion demeure à ce jour l'unique réalisatrice lauréate d'une Palme d'or, pour l'âpre et envoûtante Leçon de piano en 1993. Vrai titre de gloire, mais la couronne lui pèse. À son avis, les filles ont moins grandi que les garçons avec le regard critique et elles craignent la compétition, reculent devant le jugement des autres. «Je voudrais les voir changer, soupire-t-elle. On représente la moitié de la population et donnons naissance au monde entier...»

Les différences professionnelles entre les sexes sont souvent criantes. On imagine mal un cinéaste masculin déclarer, comme l'a fait hier Campion, ne pas avoir tourné de long métrage pendant six ans pour pouvoir s'occuper de l'éducation de sa fille Alice: «Le meilleur film de ma vie», affirme-t-elle.

La voici de retour en compétition avec ce Bright Star, l'histoire d'amour de 1818 à 1820 entre le poète britannique John Keats (Ben Whishaw) et sa voisine (Abbie Cornish). Eh non, le vent de la palme n'a pas soufflé. Plusieurs scènes dans la forêt semblent copiées sur La Leçon de piano. Autoplagiat. Le climat psychologique met bien du temps à s'instaurer. Entre un poète trop méconnu et une jeune fille d'abord frivole, les liens manquent pour sauter du flirt à la passion dévorante. Mais la dernière partie du film, montrant la tuberculose de Keats et les écueils semés sur le sentier des amoureux, devient très émouvante. C'est sans doute le meilleur Campion depuis La Leçon de piano, mais sans la vraie magie transcendante. Ici: des charmes — les scènes avec des enfants, des papillons; là: des ruptures, une belle caméra, mais quelque chose d'académique, malgré la lumineuse sensibilité de la jeune actrice.

La cinéaste n'était pas une fan de poésie romantique, mais après avoir lu une biographie de Keats et ses lettres d'amour à Fanny, elle s'est passionnée pour son oeuvre et cet amour fulgurant. «À l'époque, les femmes vivaient dans l'attente. Fanny ne faisait que coudre. Et ce rôle féminin avec peu de moyens d'expression m'apparaissait poétique. Elle coud du blanc au début et du noir à la fin.» Pour Jane Campion, tout le défi fut de réaliser un film en costumes axé sur l'intimité, en faisant oublier les accessoires. Sauf qu'elle n'y est pas tout à fait parvenue.

***

Parfois on prend son pied à Cannes. Devant la délicieuse comédie d'Ang Lee Taking Woodstock, adaptée du récit d'Elliott Tiber, par exemple. Le cinéaste a abordé l'Amérique désenchantée à travers The Ice Storm, qui se déroulait en 1973. Cette fois, retour sur le rêve et la folie de Woodstock en 1969. Un acteur inconnu, Demitri Martin, incarne avec la candeur d'un clown blanc un jeune homme qui, pour aider ses parents dont le motel est en péril, fait venir les producteurs dans son bled, et trouve un terrain pour le concert de Woodstock. Ang Lee, très documenté, sans céder à l'angélisme mais avec doigté et un comique achevé, nous transporte dans ce motel en délire, se concentrant sur l'organisation du festival puis restant aux abords de la fête (on ne verra jamais les musiciens) avec la boue, la drogue, des touches de psychédélisme, les enchantements de l'époque. Rien à voir avec le documentaire-culte Woodstock de Michael Wadleigh. Peut-être pas un film cousu pour la compétition, mais un charmant «feel good movie» avec la signature d'Ang Lee en prime.

***

Plus lourd, en compétition: Thirst du Coréen Park Chan-wook, premier film coréen à se voir coproduit par Hollywood (chez Universal). En 2004, le cinéaste avait obtenu le Grand Prix du jury pour son délirant film d'action Old Boy. Cette fois, il met en scène un doux curé devenu vampire après transfusion sanguine (Song Kang-ho, très polyvalent), qui s'éprend d'une belle jeune femme mariée. C'est long, rempli de trouvailles visuelles et de références, décalé, sanglant, surabondant, et ça jongle avec les tons sans trouver son point d'ancrage, hélas!

À voir en vidéo