Entrevue - Truffe, aux origines du rêve

Rencontrés à l'occasion de la sortie de Truffe, Kim Nguyen, Céline Bonnier et Roy Dupuis ouvrent une porte sur un imaginaire déjanté qui provoquera sans doute des réactions tranchées. Peu importe l'accueil qui sera réservé au film, la singularité de la proposition mérite largement que l'on s'y attarde. La preuve par trois.
Si l'inspiration l'abandonne un jour, ce qu'on ne lui souhaite surtout pas, le cinéaste Kim Nguyen pourra toujours revenir sur la genèse pour le moins inusitée de son second long métrage et en tirer un film certain de s'accorder à ses sensibilités surréalistes, voire oniriques. De fait, c'est en rêve que Truffe prend forme. «Après cinq ans de travail sur un projet [La Cité des ombres, dont le tournage vient d'être complété], moult réécritures et un processus bureaucratique assez intense où une multitude de conseils, parfois très bons, sont prodigués, on en vient à douter un peu de son instinct, surtout quand on ne sait pas si le film va se faire.»Truffe naît à un moment charnière. Il s'agit d'une oeuvre transitoire importante pour l'auteur. «Le projet est né de ce désir de renouer avec mon inconscient, mon instinct. C'est dans cette optique que j'ai écrit le scénario, sur le principe de l'écriture automatique. Pendant un an ou deux, j'ai pris des notes de mes rêves, isolé des thèmes, des symboles... J'ai apprivoisé l'idée de ne pas avoir peur de l'incongru, d'y faire confiance même, plutôt que de chercher à le réprimer. Ça m'a beaucoup aidé pour la suite, cette validation du gut feeling. On ne fait pas des analyses cartésiennes, on raconte des histoires!»
Et cette histoire-là revêt des atours tout à fait singuliers. «J'ai voulu en profiter pour aller plus loin dans la forme. Le noir et blanc s'est imposé rapidement. On avait une idée assez claire de ce qu'on voulait, comme traitement visuel: quelque chose de plutôt épuré. Le seul terme que j'ai trouvé, c'est slick kitsch, c'est-à-dire qu'on reprend des éléments qui sont devenus kitsch et on les réinterprète en les glorifiant par la lumière, qui les sculpte, les transforme et les élève au rang de pop art, en quelque sorte.»
Le facteur humain
«C'est en voyant Eternal Sunshine of the Spotless Mind, de Michel Gondry, que j'ai pris conscience que mon récit avait besoin d'un attachement émotif, de personnages principaux dotés d'une humanité reconnaissable. Quand l'histoire disjoncte, on a déjà un a priori favorable pour eux. Le choix de situer l'action dans Hochelaga-Maisonneuve, un repère, s'inscrivait dans ce même souci d'identification.» Ainsi, dans cet univers biscornu, les tracas financiers d'Alice (Céline Bonnier) et de Charles (Roy Dupuis), la grisaille de leur quotidien et, surtout, leur amour indéfectible, agissent comme des points d'ancrage pour le spectateur.
De songes en notes manuscrites, le second long métrage de Kim Nguyen devient donc une fable sur la surconsommation, un hommage au cinéma de science-fiction rétro (le Invasion of the Body Snatchers de Don Siegel en tête)... un film noir romantique où la satire côtoie un commentaire social affirmé. «Il y a ce petit fruit noir, interdit; on le veut sans savoir pourquoi. On le consomme, on s'en gave, mais on n'est jamais rassasié.» Cet élément a particulièrement interpellé les deux vedettes: «Le film dénonce la surconsommation et la surexploitation des ressources par les grandes entreprises. C'est important qu'on en parle, et de le faire dans un film aussi stylisé, intelligemment stylisé, ça me plaît», de dire Roy Dupuis. «Cette grosse entreprise, avec ses gros sabots, vient écraser les petits marchés locaux», de renchérir Céline Bonnier.
Le rêve, une matière malléable
Le premier film du cinéaste, Le Marais, a visiblement été pour lui une bonne carte de visite, les deux acteurs y faisant allusion avec admiration. Truffe permet à Céline Bonnier, sans se répéter, d'ajouter à sa filmographie un autre rôle de femme volontaire qui provoque le récit plutôt que d'en être à la remorque. Car c'est bien Alice, son personnage, qui interroge les apparences et part sauver son homme. «J'aimais l'idée d'être l'héroïne d'un hommage aux vieux films de série B, avec les talons et les petites robes proprettes. Alice est très "groundée", malgré le style et le ton du film. Et c'est vrai qu'on m'offre volontiers ce genre de rôle... Peut-être que c'est ce que je dégage? Les femmes qui luttent pour un bonheur, un avenir meilleur, ça donne toujours des personnages intéressants parce que, justement, elles sont en action.»
Roy Dupuis a lui aussi l'occasion d'élargir un registre déjà très étendu, Charles, qu'il défend, vivant une transformation dont il convient de taire les détails. Il en résulte la nécessité d'un jeu à deux niveaux qui, jumelé à l'intérêt suscité par les thèmes abordés dans le scénario, a contribué à emporter l'adhésion du comédien. Ce dernier dévoile en outre un aspect révélateur de sa première collaboration avec le cinéaste: «Quand j'ai émis une légère réserve au sujet de la fin, on s'est rencontrés et Céline et moi avons fait des suggestions, on a discuté. Kim était très ouvert, très à l'aise. Il est reparti avec tout ça et est revenu avec une nouvelle mouture.» L'anecdote est loin d'être banale et révèle, je le fais remarquer à l'acteur, une belle confiance dans l'instinct des comédiens. «Oui. Une compréhension de ce qu'on est, certainement. Quand tu choisis un acteur, tu veux qu'il te nourrisse; en tout cas, c'est comme ça que je perçois le travail...»
Une attitude logique, en fin de compte, puisque Truffe, à la base, tire ses origines de ce même principe: l'instinct.
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Collaborateur du Devoir