Perdre le nord pour mieux s'y retrouver...

Dany Boon ne manque pas de culot. En un seul film, il égratigne trois symboles importants de la France, accentuant les particularismes de chacun pour mieux s'en moquer: le Nord, le Sud... et la poste. Mais il le fait avec une telle tendresse qu'au final il réconcilie tout le monde, même les employés du service postal, réputés pour leur mine patibulaire (dans leurs bons jours...).
Bienvenue chez les Ch'tis, c'est la comédie fédératrice par excellence, du moins d'un point de vue français, refusant de prendre les uns pour des imbéciles afin de rehausser la noblesse des autres. Et c'est tout le talent de cet humoriste de plus en plus présent au cinéma, comme acteur (Mon meilleur ami, de Patrice Leconte) et réalisateur (La Maison du bonheur, un premier film inédit au Québec), sachant doser ses coups de griffes, nuancer les travers de ses personnages et, surtout, capable de s'appuyer sur un humour sans cabotinage excessif. En fait, il repose en bonne partie sur un langage, le ch'ti, typique des gens de la région Nord-Pas-de-Calais; pour une oreille étrangère, et même québécoise, c'est parfois douce musique, parfois cacophonie. Et c'est voulu ainsi.L'un ou l'autre des 20 millions de spectateurs français (un record d'assistance battant celui de La Grande Vadrouille, de Gérard Oury, vieux de 40 ans) vous a peut-être déjà raconté à quel point il rigole encore des préjugés de Philippe (Kad Merad, pas très loin, en plus bavard, d'un Jacques Tati), un Sudiste qui se voyait déjà cadre dans un bureau de poste de la Côte d'Azur et qui, puni pour ses magouilles, se retrouve plutôt à Bergues. Dans l'imaginaire collectif, et celui de Philippe, rien n'aurait changé à cet endroit depuis le roman Germinal d'Émile Zola, une mystification renforcée par un patriarche (fabuleux Michel Galabru, triomphant dans une seule scène, déjà un morceau d'anthologie) y ayant séjourné en des temps immémoriaux.
Les débuts professionnels de l'expatrié (que dis-je, de l'exilé...) sont plutôt hasardeux, lui qui essaie de décoder un accent, des habitudes, voire des moeurs culinaires qui le plongent dans la même perplexité que nous... Son guide et employé, le simplet et attachant Antoine (Dany Boon, du sur-mesure taillé à la perfection), amoureux transi d'une belle collègue, devient peu à peu le meilleur ambassadeur de cette région que Philippe commence à apprécier d'une affection sincère. Au point de s'empêtrer dans ses mensonges destinés à son épouse laissée derrière, qui viendra constater l'étendue de sa (fausse) misère et ainsi découvrir un monde où les étrangers venus s'y installer pleurent deux fois: à leur arrivée et à leur départ.
Ce voyage au pays des préjugés se présente souvent sous la forme d'épisodes comiques qui trahissent le passé des scénaristes Alexandre Charlot et Franck Magnier, venus prêter main-forte à Boon. Associés malgré eux au ratage d'Astérix aux Jeux olympiques, ils ont aussi aiguisé les crocs des Guignols de l'info, ces marionnettes impertinentes de la télévision française. Dans Bienvenue chez les Ch'tis, une livraison postale à vélo (proche, encore là, du Jacques Tati de Jour de fête), un cours accéléré de ch'ti dans un restaurant chic ou une déclaration d'amour du haut d'un clocher semblent autant de parenthèses amusantes dans un récit sautillant, à la cadence soutenue et farci de bons mots qui font mouche.
Est-ce cela qui explique un tel succès en territoire français? Les compatriotes de Dany Boon se sont sûrement reconnus dans un certain provincialisme obtus et ces figures d'une naïveté qui excuse tout, même l'ignorance crasse. Et le réel talent de Boon est non seulement de se servir de sa bonne bouille pour camper le plus Ch'ti de tous les Ch'tis, mais aussi d'afficher une complicité de tous les instants avec Kad Merad, un autre pro de la comédie qui fait des étincelles sans donner l'impression d'accomplir de gros efforts. Entre les deux se faufile une étonnante Line Renaud, force de la nature capable de foudroyer n'importe qui du regard, qu'il s'agisse d'un étranger de passage ou d'une future belle-fille menaçant son statut de maman castratrice.
Ce portrait chaleureux, rigolo, filmé sans prétention, sans méchanceté — et sans grande virtuosité technique, l'ambition de Boon étant d'abord de servir les dialogues et ses interprètes —, respire une joie de vivre contagieuse que même un accent impossible n'arrive pas à altérer.
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Collaborateur du Devoir
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Bienvenue chez les Ch'tis
De Dany Boon. Avec Kad Merad, Dany Boon, Zoé Félix, Line Renaud. Scénario: Dany Boon, Alexandre Charlot, Franck Magnier. Image: Pierre Aïm. Montage: Luc Barnier. Musique: Philippe Rombi. France, 2008, 106 min.