Délicieusement Agatha
Une immense villa un peu isolée, perchée sur la côte. À l'intérieur, une galerie de gens riches, pas tous contents d'être réunis, comprenant un jeune richard (Melvil Poupaud), une vraie garce (Laura Smet), une vieille fille amère (Alessandra Martines), un voyageur poète (Clément Thomas), une matriarche autoritaire (Danielle Darrieux) et un gigolo en mal de respectabilité (Xavier Thiam). Nous sommes bel et bien chez Agatha Christie, outre-Manche toutefois puisque Pascal Thomas (La Dilettante) a déplacé l'action de L'Heure zéro de la Grande-Bretagne vers la Bretagne. Tout le reste est délicieusement fidèle à l'esprit et à la lettre «christienne», avec en prime un intense plaisir de faire, chez Thomas, qui se traduit dans la salle par un tout aussi intense plaisir de voir.
L'auteure du Crime de l'Orient-Express et de Mort sur le Nil avait détourné ses codes habituels pour mettre en pratique, à travers L'Heure zéro, paru en 1944, une théorie énoncée dans le roman (et le film) par un vieux magistrat, à savoir que l'intérêt d'un crime repose sur la machination qui le précède bien davantage que sur l'enquête qui lui succède. Pascal Thomas, qui tourne présentement Le crime est notre affaire, troisième volet d'une trilogie consacrée à Agatha Christie (le truculent Mon petit doigt m'a dit, premier volet, ne nous a pas rejoints, malgré la présence de Geneviève Bujold au générique), passe plus de la moitié du film à nous faire anticiper le crime, à distribuer blâmes et secrets aux maîtres, visiteurs et domestiques, avant d'abattre son premier as. C'est à ce moment qu'entre en scène le commissaire Bataille (François Morel), aperçu dans un prologue un peu confus. Venu résoudre l'énigme, celui-ci va vite s'apercevoir que, si un meurtre (ou deux) a eu lieu, le crime, lui, est peut-être encore en voie d'exécution.Usant d'une palette sombre et maximisant l'aspect gothique du décor breton, le cinéaste s'amuse, dans son jeu de salon parfois dispersé, à mettre l'accent sur ce qui n'a pas d'importance, à feindre l'indifférence devant ce qui en a, bref à déjouer nos perceptions comme la reine du polar savait si bien le faire. Tous les rôles ne sont pas gratifiants à jouer — ceux des domestiques sont caricaturés à l'excès —, mais chacun possède sa part d'ombre, les femmes en tête.
Alessandra Martines, en dame de compagnie flétrie, défend très bien la plus charismatique des figures féminines, devant une Danielle Darrieux crédible en millionnaire manipulatrice, une Chiara Mastroianni compétente en ex-épouse mélancolique du neveu play-boy de la vieille et une Laura Smet résolument mauvaise en croqueuse de diamants mariée à ce dernier, vers qui tous les soupçons seront commodément dirigés avant que... Rappelez-vous: nous sommes chez Agatha Christie.
***
Collaborateur du Devoir
***
L'Heure zéro
De Pascal Thomas. Avec François Morel, Melvil Poupaud, Chiara Mastroianni, Laura Smet, Alessandra Martines, Danielle Darrieux, Clément Thomas. Scénario: Clémence De Bieville, François Caviglioli, Roland Duval, Nathalie Lafaurie, d'après le roman d'Agatha Christie. Photographie: Renan Polles. Montage: Catherine Dubeau, Marie De La Selle, Elena Mano. France, 2007, 107 min.