Gymnastique périlleuse

Photo : Universal
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Contrairement aux Spielberg et Scorsese, qui ont réussi à bâtir une filmographie impressionnante en demeurant dans le giron des grands studios, certains réalisateurs, les Brian De Palma et Steven Soderbergh par exemple, doivent se résoudre à y venir faire un tour occasionnel, le temps d'une commande qui leur permettra de tourner un projet personnel (Femme fatale ou l'histoire du Che en deux parties, disons). Remarquez que des auteurs aussi doués que ces deux-là peuvent aisément détourner une oeuvre de commande et y intégrer leurs propres obsessions. C'est à cette gymnastique périlleuse que s'adonne avec brio Guillermo Del Toro (Le Labyrinthe de Pan) dans Hellboy II - The Golden Army.

Del Toro est l'un des porte-étendards de la nouvelle vague mexicaine avec les Alejandro González Iñárritu, Alfonso Cuarón et Carlos Reygadas. Cronos, son premier long métrage, se vit décerner à Cannes, en 1991, le prix international de la critique. Des débuts qui tinrent leurs promesses: succédant à l'amère aventure que fut Mimic, le magnifique L'Échine du diable vint confirmer l'imaginaire singulier de Del Toro et sa grande maîtrise du langage cinématographique. Cette intelligente histoire de fantôme se déroulant sur fond de guerre civile espagnole constituait le premier volet d'une trilogie annoncée. Une coûteuse trilogie. Ceci expliquant cela, Blade II et Hellboy vinrent alimenter l'usine à rêves personnelle du réalisateur et Le Labyrinthe de Pan put voir le jour. Et de deux.

Hollywood n'étant jamais plus heureux que lorsque succès et suites peuvent être conjugués, voici Hellboy II, où Red doit cette fois sauver l'humanité (ingrate) d'un prince Elf plutôt mégalo. Peut-être est-ce le changement de studio (Sony pour le premier, Universal pour celui-ci) ou le succès récent du réalisateur, mais cette suite est beaucoup plus riche, dense et ambitieuse que l'oeuvre première; plus proche des thèmes de Del Toro, aussi. En insistant sur la dualité entre les mondes du dessus et du dessous par le truchement d'un personnage marginal, le cinéaste propose une oeuvre parfois étonnement proche du Labyrinthe de Pan.

Retrouvant Ron Perlman (La Cité des enfants perdus) pour une quatrième collaboration, Del Toro laisse le champ libre à l'acteur, qui habite complètement son personnage, un héros grognon, teigneux et immature (prends ça, Hancock). La direction photo de Guillermo Navarro, collaborateur habituel du cinéaste, est une fois de plus superbe, surtout dans les scènes souterraines. Très à l'aise dans ces ambiances, Danny Elfman propose une trame sonore très efficace.

Mais la réussite de l'entreprise revient au metteur en scène (et scénariste), qui réussit la délicate alchimie de rendre personnel un concept original qui n'était pas le sien. De fait, on lui est reconnaissant d'avoir créé, d'après ses propres croquis, comme pour Pan d'ailleurs, une pléiade de créatures fantastiques d'une monstrueuse beauté. Obligée, la traditionnelle bataille entre les forces du Bien et du Mal s'en trouve considérablement enjolivée.

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Collaborateur au Devoir

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Hellboy II - The Golden Army

Écrit et réalisé par Guillermo Del Toro d'après des personnages créés par Mike Mignola. Avec Ron Perlman, Selma Blair, Luke Goss, Anna Walton, Jeffrey Tambor, John Hurt. États-Unis, 2008, 110 min.

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