Frères ennemis
Ceux qui ont vu la grande fresque Nos meilleures années, de Marco Tullio Giordana, reconnaîtront dans Mon frère est un fils unique un détail de cette fresque, voire une nouvelle variation, en plus intimiste, sur le thème de la fraternité contrariée. Pas étonnant quand on sait que les scénaristes des deux films (Sandro Petraglia, Stefani Rulli) sont les mêmes. À eux se joint, dans le cas présent, Daniele Luchetti, également réalisateur du film, dont le souvenir de son excellent Le Porteur de serviette, à saveur politique, est encore bien vivant malgré ces dix-sept années qui le séparent de Mon frère est un fils unique.
La proposition du film aurait pu inspirer la caricature et l'excès. Elle a au contraire inspiré à Luchetti (qui adapte ici le roman d'Antonio Pennacchi) subtilité et respect. Accio (joué d'abord par Vittorio Emanuele Propizio puis par Elio Germano, tous deux parfaits), élève fantasque, quitte le pensionnat après avoir découvert qu'il avait perdu la vocation de devenir prêtre et se laisse séduire par l'idéologie fasciste et le culte de Mussolini, enseignés par un ouvrier qui se fait son mentor. Nous sommes à Latina dans les années 60. Le frère aîné d'Accio, Manrico (Riccardo Scamarcio), socialiste convaincu et admirateur de Staline, infiltre pour sa part les usines pour organiser la lutte ouvrière et fonder des syndicats. Campés sur leurs positions radicalement opposées, les deux frères regardent, au fil des ans, le fossé se creuser entre eux, leur seul pont de communication étant Francesca (Diane Fleri), petite amie du second, attachée au premier qui le lui rend bien. Mais tandis que la colère d'Accio s'atténue, Mancurio se radicalise. L'un et l'autre seront les témoins, et les instruments, d'une Italie en mutation, marquée par la corruption dans l'appareil politique et la montée des Brigades rouges.La force du film tient à cet entêtement providentiel de Luchetti, qui s'en tient aux regards contraires des deux frères, demeure dans le détail de ce qu'ils voient, dans l'intime de ce qu'ils éprouvent, pour laisser l'Histoire apparaître et s'imposer d'elle-même. Sa mise en scène, jamais voyante mais très mesurée et tendue, soutient tel un suspense une chronique qui n'en comporte pas vraiment et qui culmine sur une apothéose ambiguë parce qu'elle est triste et joyeuse à la fois. Disons émouvante, dans le sens le plus pur et le plus large de l'expression, c'est-à-dire sans violons, sans démagogie, le message à portée de main, sans toutefois qu'on nous le mette dans les mains.
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Collaborateur du Devoir
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Mon frère est un fils unique
De Daniele Luchetti. Avec Elio Germano, Riccardo Scamarcio, Diane Fleri, Angela Finocchiaro, Luca Zingaretti, Anna Bonaiuto. Scénario: Sandro Petraglia, Stefani Rulli, D. Luchetti, d'après le roman d'Antonio Pennacchi. Photographie: Claudio Collepiccolo. Montage: Mirco Garrone. Italie, 2007, 100 min.