Ode à la beauté cachée du monde

Après Kung Fu Panda, le cinéma d'animation américain aurait enfin épuisé le bestiaire. À point nommé, Pixar arrive avec WALL-E, une oeuvre d'exception qui reporte sur la gent électronique, j'ai nommé les robots, la propension à l'anthropomorphisme de Hollywood. On voudrait s'en plaindre qu'on n'y arriverait pas tant le film, à tous les égards, est original, audacieux, porteur de messages (sur la surconsommation, l'écologie, le messianisme, etc.) sans être prêcheur de bonnes paroles et, par-dessus toutes ces qualités, débarrassé de la maudite boussole dramaturgique qui donnait le nord à 90 % de ses prédécesseurs.

WALL-E, qui comme Toy Story divisera l'avant de l'après, ne reproduit aucune recette éprouvée. Même que dans sa première partie, les auteurs ont fait le pari fou, risqué, brillant, du silence. Nous sommes en 2775. La Terre n'est plus qu'un amas de ruines dans lequel le petit robot du titre, seul «survivant» de son espèce, tente de faire de l'ordre en compactant sa ferraille en milliers de cubes de même taille. Il donne un sens au chaos et, bientôt, de ce chaos renaît la vie. C'est ce qu'Ève, un robot fantomatique (on dirait Casper, modèle électroménager) envoyé par les Terriens, constate. Une plante est apparue, signe que l'atmosphère s'est reformée, que la vie peut reprendre. L'ayant capturée dans sa coquille, le robot est bientôt rapatrié par son vaisseau, dans lequel WALL-E, qui a réussi à établir un dialogue fait d'onomatopées, s'embarque lui aussi.

Ainsi débute la portion 2001: l'odyssée de l'espace de ce beau film sur l'état du monde actuel et, curieusement, la phase la plus subversive du divertissement. Car, passé la déroute écologique constatée ci-bas, là-haut, dans le ciel, Stanton et ses animateurs ont conduit l'humanité dans sa folie la plus extrême: les hommes, en quête d'une planète habitable, ont renoncé à ce rêve et se complaisent, obèses, dans une société de loisirs façon L'Âge de cristal, où la communication entre les individus, même assis côte à côte, se fait par écrans interposés et où Dieu a la forme d'un président: le président d'un p.-d.g. de grand magasin.

On peut rechigner devant le choix un peu racoleur et commode de sexualiser les robots afin d'apporter une dimension sentimentale à un récit qui pourrait s'en passer sans rien compromettre; ou noter l'absence inattendue de momentum dans la séquence montrant l'insurrection des machines provoquée par l'attachant robot chenillé et qui cause une petite baisse de régime à l'écran.

Mais le film réussit le pari fou, insensé, que personne n'a osé jusqu'ici affronter, de la poésie. Une poésie qui rappelle celle de Norman McLaren et qui sublime le message en art, l'art en message. On ne peut s'empêcher de craindre que le très jeune public se sente un peu déstabilisé devant cette ode à la beauté cachée du monde. On ne peut non plus s'empêcher d'espérer que ce qui, pour les adultes, constitue une compréhension acquise des enjeux soulevés, correspondra, chez eux, à un savoir inné.

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WALL-E

Écrit et réalisé par Andrew Stanton. Montage: Stephen Schaffer. Musique: Thomas Newman. Voix (version originale): Ben Burtt, Elissa Knight, Jeff Garlin, Fred Willard, John Ratzenberger, Sigourney Weaver. États-Unis, 2008, 98 min.

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Collaborateur du Devoir

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