Petits trésors sauvés des grands désastres

Pour quelques générations de téléspectateurs québécois, l'animation japonaise se résume à un lointain souvenir de samedis matins en pyjama avec Candy, Albator ou Goldorak. D'autres ne jurent que par les versions animées des mangas ou encore suivent à la trace les magnifiques fantaisies baroques du cinéaste Hayao Miyazaki (Princesse Mononoke, Spirited Away, etc.).

Toutes ces formes cinématographiques possèdent leurs origines, leurs ancêtres, et la Cinémathèque québécoise propose, jusqu'au 5 avril, un survol forcément fragmentaire de l'animation japonaise de la première moitié du XXe siècle. Pourquoi fragmentaire? De passage à Montréal, Akira Tochigi, conservateur en chef au National Film Center de Tokyo et commissaire de cet imposant panorama, évoque des éléments historiques impossibles à éviter lorsqu'il s'agit de parler du cinéma japonais, tous genres confondus.

Cartoon et propagande

Ce chapelet d'îles est soumis depuis des siècles aux tremblements de terre et en 1923, l'un des plus meurtriers de l'histoire du Japon allait pratiquement raser Tokyo, forçant le déplacement d'une partie de la production cinématographique à Kyoto, ville historique épargnée du désastre. Et bien sûr, la défaite cuisante (et radioactive) de 1945 face à l'armée américaine allait entraîner d'autres destructions. «Nous n'avons pas de chiffres officiels et définitifs sur l'ensemble de la production cinématographique entre le début du XXe siècle et 1945, souligne Akira Tochigi. Selon nos recherches, il ne reste sans doute que 10 % des longs métrages produits dans les années 1930. Pour les films du début du siècle, c'est... 0,1 %. Une tragédie.»

Sauvés des aléas de la nature et de l'histoire, les 53 films de ce panorama témoignent de la diversité des techniques mais aussi des ambitions différentes des cinéastes. Akira Tochigi tient d'ailleurs à préciser que le caractère insulaire des Japonais est un mythe, «autant en ce qui concerne les technologies que le cinéma». En fait, beaucoup de spectateurs japonais, particulièrement dans les années 1930, voyaient massivement des longs métrages allemands, «et toujours accompagnés d'un court métrage d'animation, dont plusieurs du célèbre Oskar Fischinger». Et comme les Américains, ils craquaient tout autant pour la provocante Betty Boop que pour le rigolo Mickey Mouse.

Aux côtés de plusieurs films en animation de silhouettes (dont un joli clin d'oeil à Madame Butterfly daté de 1940) et d'autres en papier coloré, les cinéastes d'animation ont su maîtriser l'art du cartoon... et celui de la propagande. «Pour plusieurs réalisateurs pendant la Deuxième Guerre mondiale, c'était enfin l'occasion d'obtenir des moyens équivalents à ceux qui tournaient des fictions», souligne M. Tochigi. C'est ainsi qu'est né Momotaro, esquissé comme un personnage de Disney... et belliqueux comme un samouraï. Dans Momotaro, the Sea Eagle, premier long métrage d'animation, on célèbre, avec le ton fantaisiste des cartoons, l'attaque de Pearl Harbor!

Si le conservateur affiche une nette préférence pour la démarche plus subtile de Kenzo Masaoka (The Spider and the Tulip est une pure splendeur), il affectionne également l'audace de Shigeji Ogino, un cinéaste «amateur» qui compte 400 titres à son actif. Certains films, tournés dans les années 1930, évoquent même la griffe de Norman McLaren. «Mais tournés bien des années avant lui!», ajoute non sans fierté Akira Tochigi.

Collaborateur du Devoir

- Pour connaître l'ensemble de la programmation, consultez le site www.cinematheque.qc.ca ou téléphonez au 514 842-9763.

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