Inquiétantes dérives

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Contre-enquête
Réalisation et scénario: Frank Mancuso. Avec Jean Dujardin, Laurent Lucas, Agnès Blanchot, Aurélien Recoing, Jean-Pierre Cassel. Image: Jérome Almeras. Musique: Krishna Levy. Montage: Andrea Sedlackova. Une heure vingt-cinq minutes.
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Frank Mancuso a pour titre de gloire d'avoir été policier à la Police judiciaire de Paris au sein des départements les plus chauds: banditisme, narcotiques, terrorisme, etc. Ses états de service lui ont valu de participer au scénario de 36, quai des Orfèvres d'Olivier Marchal, un bon polar français.

Contre-enquête, qu'il a scénarisé lui-même, est son premier long métrage: une oeuvre maladroite, surtout pour son scénario et sa direction d'acteurs, mais même à travers son rythme. La vraisemblance psychologique manque si souvent à l'appel que le spectateur décroche, malgré certaines pistes originales (le flic victime) qui mériteraient d'être mieux développées.

Le héros (Jean Dujardin), Malinowski, est un être déchiré, à la fois policier chargé de défendre la justice et père de famille éploré dont la fille a été violée et assassinée par un maniaque. Le fait qu'on charge la propre brigade du malheureux père d'enquêter sur ce crime paraît déjà suspect, mais tout le scénario peine à attacher ses fils.

Que Dujardin (le beau gosse d'OSS 117 et de Brice de Nice) entre dans la peau d'un homme sombre, brisé, jamais ironique, constitue un contre-emploi intéressant. Il campe son policier en déroute de manière physique, charismatique, tout en étant desservi par cette intrigue tarabiscotée qui s'offre des revirements-chocs, mais peu crédibles.

Laurent Lucas incarne l'accusé, emprisonné pour le crime, qui nie sa culpabilité, un rôle peu inspirant. Le cinéaste a joué sur son sourire mi-figue, mi-raisin pour cette figure d'ambiguïté. Coupable? Innocent? Le comédien avance sur le fil du rasoir, sans avoir vraiment de répliques solides ou de scènes fortes auxquelles s'arrimer. On le voit en général de dos, dans sa cellule de prisonnier, écrivant. C'est sa voix hors champ qui s'exprime la plupart du temps, alourdissant l'action.

Les acteurs secondaires, moins habitués à se diriger eux-mêmes que les vedettes principales, semblent particulièrement égarés: Agnès Blanchot au premier chef, toujours fausse en épouse de Malinowski. Jean-Pierre Cassel, dans une de ses dernières apparitions à l'écran, déjà malade, apporte à son rôle de médecin une intériorité qui fait défaut au reste de la distribution.

En France, Contre-enquête s'est fait reprocher d'encourager l'autodéfense, car un héros s'y rend justice. Ce personnage brisé, qui s'avoue moralement mort, ne prétend pourtant pas poser au modèle de vertu. La position des autres policiers affiche moins d'excuses. Ceux-ci protègent leur ami quand il braque un revolver sur le suspect ou pire encore. Ils ne le dénoncent ni ne l'écartent de ce chemin pavé de conflits d'intérêts. Les positions de Mancuso sur la moralité des policiers français laissent planer de telles collusions corporatistes qu'on préfère mettre sur le compte de la maladresse, plutôt que du cynisme, les dérives éthiques de Contre-enquête.

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