L'homme « qui éclatait de bonheur »

Claude Messier possède tous ses muscles, mais ceux-ci sont «disposés comme une peinture de Picasso». Cette description d'un massothérapeute bienveillant, à la fois poétique et effroyable, décrit bien le corps désarticulé de cet écrivain prolifique, atteint de dystonie musculaire dégénérative et cloué à un lit roulant. L'homme, un habitué des médias, a mené de nombreuses batailles pour la reconnaissance pleine et entière de ses semblables. À cela s'est ajoutée la lutte pour l'utilisation de la marijuana à des fins thérapeutiques.

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Le Dernier Envol
Réalisation, scénario et montage: Yves Langlois. Avec la participation de Claude Messier. Image: Denis Dubuc. Musique: Carl Tremblay. Québec, 2007, 78 min.
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Ce preux chevalier à la langue bien pendue, malgré ses difficultés d'élocution, sentait venir sa fin — à 35 ans, ses médecins lui en accordent deux de plus —, mais il n'allait pas quitter ce monde sans réaliser ses rêves, et trouver quelqu'un pour en témoigner. Le cinéaste Yves Langlois suivra donc Claude Messier dans Le Dernier Envol, le temps qu'il puisse mettre la touche finale à son autobiographie, Confessions d'un paquet d'os, et goûter aux plaisirs grisants d'une chute, d'une magnifique chute en parachute. Pour celui qui a déjà fait du ski alpin, du traîneau à chiens et du camping, il n'y avait pas plus belle façon de conclure une vie jamais ennuyeuse, jamais misérable.

Auteur de nombreux ouvrages, sa détermination, malgré ses limites évidentes, n'est pas sans rappeler celle de Jean-Dominique Bauby dans Le Scaphandre et le Papillon, de Julian Schnabel, avec une différence de taille: Messier est enfermé dans son propre corps singulier depuis sa naissance. Le regard méprisant des bien-portants, l'infantilisme du personnel soignant, le bruit sec des portes qui se referment sur ses aspirations, Claude Messier connaît tout cela.

Dans Le Dernier Envol, Yves Langlois célèbre le courage obstiné de l'homme, entre autres par la lecture de quelques-unes des plus belles pages de son oeuvre, livrée par des acteurs sensibles utilisés avec moins de bonheur dans des sketchs dignes d'un spectacle scolaire. Ces vignettes, malhabiles et culpabilisantes, n'altèrent pas le plaisir de suivre Claude Messier dans un quotidien ponctué de frustrations (celui d'habiter à la Résidence Saint-Charles-Borromée n'est pas la moindre... ) mais souvent coloré de rencontres d'amis pleins de dévotion et d'admiration, comme Raôul Duguay.

Pour illustrer à quel point Messier se butte à toutes sortes de résistances, de courtes séquences le présentent au téléphone, répétant inlassablement sa requête jugée farfelue pour les uns, irresponsable pour les autres: un saut en parachute. Comme si sa vie ne tenait plus qu'à cet exploit, l'écrivain casse-cou déploie une énergie incroyable à le matérialiser. Et le cinéaste le suit à la trace, donnant des conférences, trônant fièrement à un lancement de livre ou acceptant de se montrer dans son plus simple appareil lors de sa toilette matinale.

Son énergie débordante n'aura pas entièrement raison de sa maladie, ni même sa consommation bienfaisante de marijuana — quatre bouffées d'un bon joint suffisaient à remplacer 25 pilules par jour... Cet homme «qui éclatait de bonheur» devant la caméra du cinéaste a laissé en héritage un témoignage exemplaire de courage et de détermination. Les gens dits normaux de son entourage avaient bien raison de le trouver exceptionnel.

Collaborateur du Devoir

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