Portrait collectif de l'impuissance

On devait déjà à Catherine Hébert le très remarqué Voici l'homme! sur un prêtre de l'est de Montréal qui dirigeait une troupe amateur dans la Passion du Christ. Mais avant, comme journaliste, elle avait réalisé plusieurs reportages sociaux dans des points chauds du monde, dont l'Inde et le Népal, qui l'ont rendue sensible aux dérapages planétaires.
***De l'autre côté du pays
Réalisation: Catherine Hébert. Image: Sébastien Gros. Montage: Annie Jean. 84 min.
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Catherine Hébert a atterri au nord de l'Ouganda pour filmer cette guerre mal connue, qui dure depuis vingt ans, gérée à la va-comme-je-te-pousse par les dirigeants du pays. Une de ces guerres dont d'autres pays de l'Afrique subsaharienne, le Soudan entre autres, ont le secret, avec raids, assassinats, enlèvements d'enfants pour les enrôler dans la lutte armée, viols de femmes, terreur sourde et omniprésente.
La documentariste parvient à faire parler les Ougandais, souvent relocalisés dans des camps (1,7 million de réfugiés y vivent). L'armée, corrompue, de mauvaise foi, ne les protège d'aucune agression mais les empêche de connaître une vie normale de villageois et coupe les ailes à ces personnes déjà endeuillées et brisées.
La caméra fort belle nous entraîne dans un monde désertique, ravagé, comme le Soudan, par la guerre civile, où les orphelins de guerre se cachent dans des refuges pour échapper aux combattants du maquis. Quatre-vingt-dix pour cent de l'armée rebelle est constituée d'ex-enfants kidnappés que leurs familles attendent toujours.
La cinéaste s'est placée à hauteur humaine, sans narration, donnant la parole aux enfants des rues, à une fillette qui marche sans fin pour trouver un endroit où dormir sans danger, comme à une pauvre aïeule ravagée par ses souvenirs. Le film constitue le portrait collectif d'une impuissance, car la population ne peut compter sur personne. Le président n'a que de vaines promesses, jamais tenues, à opposer à leur misère, utilisant la peur comme arme électorale. L'armée fantoche, au budget toujours vainement augmenté, n'est que traîtrise. Même le paysage d'herbes folles et de huttes misérables témoigne de l'agonie d'un peuple nié, oublié, qui crie littéralement dans le désert, mais conserve néanmoins une dignité crève-coeur.
Le kaléidoscope de ces histoires de vie, avec leur douleur, leur pauvreté, est une percée dans le silence qui s'étend sur ces destins tragiques. La beauté des images, qui captent chaque malheur avec respect, ajoute une dimension poétique aux calamités mises en scène. Catherine Hébert n'apporte pas de réponse. Et le pourrait-elle? De l'autre côté du pays se révèle un blues terrible, qui en dit davantage sur l'inertie et le refus de voir de l'opinion internationale qu'une thèse politique, montrant du doigt, en creux, le gouvernement ougandais, l'Occident, l'Afrique, l'ONU, ainsi que vous et moi.