Précieux et fragile Festival de Marrakech

En off-festival, le collectif «Sauvons les salles de cinéma du Maroc» fait une campagne de protestation contre la mort des cinémas patrimoniaux.
Photo: Agence France-Presse (photo) En off-festival, le collectif «Sauvons les salles de cinéma du Maroc» fait une campagne de protestation contre la mort des cinémas patrimoniaux.

Marrakech — Drôle de festival que celui de Marrakech. On applaudit à sa rétrospective: «Cent ans de cinéma égyptien». L'industrie cinématographique du Caire a très longtemps été souveraine dans le monde arabe avant d'être détrônée par la marée indienne des oeuvres de Bollywood. Excellente idée aussi, ce panorama des longs métrages marocains de l'année, qui permet de flairer le vent des tendances (mais cette section est projetée à l'autre bout du monde). Les hommages de ce septième festival sont de bon calibre: à Leonardo Di Caprio pour rendre son petit tribut à Hollywood, également à l'excellent cinéaste japonais Aoyama Shinji et à son confrère marocain Mustapha Derkaoui. Le jury présidé par Milos Forman n'a pas à rougir de lui-même. Martin Scorsese a donné sa leçon de cinéma. Le milieu du cinéma trouve ici un forum de discussion.

Alors quoi?

Les films de la course. Le volet compétitif est de calibre moyen. Pas facile de ratisser de nouveaux longs métrages en fin d'année. Marrakech est collé sur les rendez-vous du Caire et de Dubaï (en hausse, grâce aux pétrodollars). Tous trois s'arrachent les films du monde musulman, qui doivent occuper une bonne place dans la programmation. Et puis, alors qu'une compétition d'envergure commande des primeurs, certaines oeuvres en lice ici pour l'Étoile d'or ont transité par d'autres festivals: Cannes, Venise, etc. Deux films en compétition ici l'étaient déjà au Festival des films du monde de Montréal: Partes Usadas du Mexicain Aaron Fernandez et Les Jardins de Samira du Marocain Latif Lahlou.

Inédits ou non sur la route des festivals de l'année, quelques bijoux: Autumn Ball de l'Estonien Veiko Öunpuu, regard vertigineux sur six habitants d'une banlieue glauque, et The Trap du Serbe Srdan Golubovic, au remarquable scénario sur la dérive d'un homme poussé au crime par la maladie de son fils. Également au menu, des trucs moins présentables comme L'Envers du miroir de l'Algérienne Nadia Cherabi, mélo sur une mère qui abandonne son enfant, ou The Savages de l'Américaine Tamara Jenkins, truffé de bons sentiments sur la maladie, la vieillesse et la famille.

Il y a de tout à Marrakech, un peu en vrac, mais une envie de cinéma, une fièvre.

Bizarrement, le meilleur film marocain se voit projeté hors compétition dans la section «Coup de coeur», En attendant Pasolini de Daoud Aoulad Syad, à qui on devait déjà le remarquable Cheval de vent. Le grand acteur Mohamed Madj y incarne un figurant de Ouarzazate, la grande ville des tournages étrangers au Maroc, ami de coeur, 40 ans plus tôt, de Pasolini sur le plateau d'Îdipe Roi, qui accueille une nouvelle équipe de film italienne en prétendant régenter l'armée de figurants locaux.

Film sur le cinéma, celui-ci possède un humour, une tendresse pour ses personnages, un sens de l'image, une vraie mémoire du septième art, un charme, quoi! En attendant Pasolini ne prétend pas refaire 8 1/2 ou La Nuit américaine mais rendre hommage aux figurants à travers la passion du cinéma. Son cinéaste, Daoud Aoulad Syad, également photographe réputé, émule de Cartier-Bresson, est né dans la médina de Marrakech, enfant des souks et des fabricants de tapis. En entrevue, il a raconté s'être basé sur une histoire vraie, celle de l'amour resté intact d'un ancien figurant de Ouarzazate pour Pasolini, qu'il avait déifié au fil des ans. Des éléments d'anciens décors de superproductions, Astérix et compagnie, laissés sur place à Ouarzazate, ont été repris pour le film. En attendant Pasolini en dit beaucoup sur ce village où les villageois puisent la moitié de leurs gains annuels à travers la figuration pour un seul tournage étranger, la vraie manne de ce désert.

Les salles

Une des joies de ce festival consiste à s'offrir un soir ou l'autre la rétrospective égyptienne au vieux cinéma Mabrouka, en pleine médina. Dans ce beau cinéma à l'ancienne, les spectateurs arrivent en djellabas, des hommes surtout, et pas très nombreux. Rares aussi, les festivaliers, concentrés surtout dans l'aire moderne du Palais des congrès. Vrai voyage dans le temps que celui de s'asseoir devant des mélos comme The Nightingale's Prayer d'Henry Barakat (1959) ou ce navet fascinant, Black Market, de Kamel El Telmessani (1945).

Hélas! Les jours du Mabrouka sont visiblement comptés. L'an dernier, le multiplexe Mégarama a poussé en banlieue de Marrakech, dans un no man's land surréaliste où les édifices encore en construction semblent sortis d'un tableau de Chirico. Le panorama des films marocains de l'année est présenté là-bas, mais les navettes partent trop tôt des hôtels, et les taxis ne se rendent même pas dans le coin. Ce lieu de désolation attend son heure.

Les gens estiment que dans six mois, quand le quartier sera habité, l'ensemble des projections de la ville va se concentrer ici. En off-festival, le collectif «Sauvons les salles de cinéma du Maroc» fait une campagne de protestation contre la mort des cinémas patrimoniaux et peste contre le Mégarama. Mais le vrai ennemi des cinémas est le piratage des films au Maroc, comme dans tout le monde arabe (les productions américaines leur parviennent piratées en copies françaises via Montréal).

Les propriétaires de salles, réunis au festival, admettent que la seule voie d'avenir passe par les multiplexes. Eux seuls peuvent offrir une image et un son assez puissants pour donner l'envie aux gens de quitter leurs mauvaises copies maison en réinvestissant les salles.

Pour l'instant, le festival sert aussi à ça: montrer aux Marrakchis des films sur grand écran et plaider la cause des salles... en causant cinéma.

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