Prisonnier du passé
En cette année où les productions québécoises d'envergure ont été si décevantes, c'est du côté des oeuvres indépendantes (on pense à Sur la trace d'Igor Rizi de Noël Mitrani) qu'il faut se tourner pour déceler des approches vraiment audacieuses. A Year in the Death of Jack Richards, de Benjamin P. Paquette, fait partie de ces productions à risque réalisées avec trois sous (500 000 $). Le film tourné en 2004, lancé à Québec au dernier Festival des 3 Amériques, primé dans divers rendez-vous de cinéma fantastique, sort enfin en salle.
Il s'agit d'une oeuvre radicale dans son style, troublante par son climat, courageuse, à clés multiples, irritante parfois, fascinante la plupart du temps, susceptible de dérouter le grand public, souvent trop brouillon, mais qui mérite le détour. Cette pénétration d'un esprit hanté, dérangé, néanmoins brillant, constitue un vrai défi que le jeune cinéaste, à travers ce premier long métrage, a su relever en partie, par delà les redondances et les carences narratives.Réalisé la plupart du temps en noir et blanc, porté par des bruitages insolites très réussis, des flashes lumineux, des images oniriques récurrentes, A Year in the Deah of Jack Richards porte fort bien son titre, puisque le personnage principal (interprété avec beaucoup de profondeur par Vlasta Vrana) se survit à lui-même, après un long internement dans un établissement psychiatrique. Rêve-t-il? Hallucine-t-il? Notre homme est prisonnier de son passé et peut-être kidnappé.
Au mitant de la cinquantaine (mais une photo ancienne le ressuscite dans sa splendeur juvénile), il devient concierge d'immeuble, rencontre une femme (Micheline Lanctôt) qu'il ne peut se résoudre à aimer, se bat contre ses fantômes et ses obsessions, hallucine à qui mieux mieux.
Jadis théologien, marié, père de famille, Jack Richards est obsédé par l'enlèvement de sa fille des années plus tôt. Une secte serait responsable de sa perte et de ses propres envoûtements. Il se perçoit comme le roi provisoire d'un groupe qui le couvre d'offrandes et de femmes avant de l'immoler.
Transposer une psychose à l'écran constitue une gageure. On sait gré au cinéaste de ne pas avoir dirigé son acteur du côté facile de l'outrance. Vlasta Vrana (The Day after Tomorrow, Grey Owl) présente un profil presque tranquille et bon enfant, qui parfois se fissure. L'acteur tire une merveilleuse justesse de ton en surjouant le moins possible. Tout repose sur ce regard qui en a trop vu, sur ce sourire qui s'excuse presque d'exister. Micheline Lanctôt, dans un rôle de muse trop bref et mal développé, parvient à imposer sa présence malgré tout.
Ce scénario déconstruit — pas toujours assez habilement — déconcerte le spectateur, le prive un à un de tout repère possible. Même la temporalité dérape; passé et présent se fondent et se confondent. La caméra pénètre dans l'esprit du personnage, que ses hantises empêchent de vivre. Chaque spectateur se fera son propre scénario de toute façon. Et cette photo de jeunesse si troublante et si séduisante sous ses allures christiques constitue sans doute le point focal d'une vie qui connut un avant et un après, mais se tient encore sur la cime de tous les possibles, car le prochain pas ouvre sur un précipice béant qui aspire le héros.
On salue une vraie audace dans ce film inégal qui tâtonne dans le noir mais trouve ses fulgurances en éclairs, tout en refusant la voie du moindre compromis. On y déplore toutefois de nombreuses fautes dans le sous-titrage en français. De grâce, trouvez un correcteur avant de livrer les répliques au public!
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A Year in the Death of Jack Richards
Réalisation et scénario: Benjamin P. Paquette. Avec Vlasta Vrana, Micheline Lanctôt, Darryl Hunter. Image: Daniel Breton. Montage et musique: Andrew David. V.o. anglaise avec sous-titres français. Au Cinéma du Parc.