À donner l'envie de voter!

Satire, Man of the Year? Je me suis longuement posé la question. Certes, l'histoire folle d'un animateur de talk-show de fin de soirée qui, sur un coup de tête, se présente comme candidat indépendant à l'élection présidentielle américaine a quelque chose de forcé et de provocant. Que ledit animateur remporte cette élection sur un coup du sort, on verse dans le guignol.

Il y a vingt ans, cette variation sur le thème de The Candidate (de Michael Ritchie, avec Redford en coquille vide) aurait été qualifiée de satire, en raison de l'improbabilité de sa proposition. Aujourd'hui toutefois, force est d'admettre que c'est une comédie réaliste, ou du moins réalisable, que Barry Levinson (Wag the Dog) nous propose. Une comédie intelligente et mordante, au demeurant, dont les imperfections formelles traduisent un sentiment d'urgence démocratique et un état d'hébétude «bushienne» en parfait accord avec le sujet.

S'il aborde sans détour la question de la liberté d'expression, si brûlante dans ces États-Unis aux salles de nouvelles anesthésiées par le Patriot Act, l'oscarisé réalisateur de Rain Man espère surtout, par ce ludique exercice de rhétorique, donner à ses concitoyens l'envie de voter. «Avez-vous voté pour moi?», demande Tom Dobbs (Robin Williams), nouveau président des États-Unis, à une informaticienne de haut rang (Laura Linney) venue l'informer des ratés du nouveau système de votation électronique qui l'a porté au pouvoir: «Non, je ne vote jamais», lui répond-elle. De toute évidence, Levinson, qui est également l'auteur du scénario, veut faire comprendre aux spectateurs que l'absentéisme électoral touche toutes les sphères de la société américaine, et que la pratique de la liberté d'expression, si chère en théorie, doit fleurir dans l'isoloir.

Dans la continuité spirituelle de Good Night, and Good Luck, mais dans la continuité formelle de Wag the Dog (qu'il avait coécrit avec David Mamet), Levinson tisse avec finesse une toile dans laquelle apparaissent la réalité nationale des États-Unis et la complexité des personnages à travers lesquels celle-ci nous est révélée. De fait, trois figures clés de l'intrigue — au-delà desquelles les personnages secondaires, esquissés, servent uniquement à actionner les leviers de la machine dramatique — portent le fardeau de ce message avec une délicieuse légèreté.

Christopher Walken, cynique producteur de télévision devenu gérant de la campagne électorale de son animateur, démontre sans que ça soit dit combien la frontière entre l'information-spectacle et la politique-spectacle est mince. L'excellente Laura Linney a la tâche plus difficile d'incarner la droiture et le sens moral; en d'autres mots, de nager à contre-courant des événements, ce qu'elle fait avec un sens du devoir honorable. Robin Williams, qui avait livré une de ses meilleures interprétations en carrière dans Good Morning, Vietnam, de Levinson, communique à la fois l'intelligence de l'humoriste et l'humour d'un intellectuel. Sa déception en constatant que, pour être pris au sérieux par l'électorat, il doit mettre ses simagrées humoristiques à l'avant-plan, est particulièrement éclairante, tant sur la profondeur de son personnage que sur les exigences superficielles des masses à l'égard des politiciens. Inspiré des Jon Stewart et Bill Maher qui inondent les ondes en fin de soirée avec des vérités pas toujours bonnes à dire, son Tom Dobbs est incarné, crédible, profond sous le masque, triste sous le maquillage de clown. Sans blague: et si l'homme de l'année, c'était lui?

Collaborateur du Devoir

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