L'éternité et plus

Une partie du plaisir raffiné et sensible de Tuck Everlasting repose sur une incroyable révélation qui éclaire les incongruités de la première partie et transfigure les événements de la seconde. Ceux qui connaissent déjà le célèbre roman de Natalie Babbitt seront davantage charmés que surpris; quant aux autres, ils se laisseront happés sans se faire prier dans cette adaptation de Jay Russell (My Dog Skip).

Il est difficile de parler de ce film sans faire quelques entorses au secret. Au-delà de ces précieux mystères, Tuck Everlasting conserve à chaque scène son charme bucolique, une tristesse jamais mélodramatique, tout cela aussi grâce à une distribution exceptionnelle, autant chez les jeunes interprètes que chez les vétérans.

Au début du XXe siècle, Winnie Foster (Alexis Bledel), une adolescente de bonne famille couvée par de richissimes parents (Amy Irving et Victor Garber), s'égare dans les bois et rencontre un beau jeune garçon, Jesse Tuck (Jonathan Jackson), dont elle ignore tout. Lui et sa famille, ses parents (William Hurt et Sissy Spacek) et son frère Miles (Scott Bairstow), vivent isolés du reste du monde, comme si le temps s'était arrêté. Les Tuck sont plutôt embêtés de voir débarquer Winnie car elle constitue, sans qu'elle le sache, une menace: et si elle révélait leur secret? D'autant plus qu'un homme mystérieux (Ben Kingsley) semble également à leur recherche.

Plutôt consentante que prisonnière, loin de parents autoritaires mais inquiets, Winnie découvre la vie paisible des Tuck et tombe follement amoureuse de Jonathan. Pourtant, ce tableau idyllique cache son revers, dévoilé en partie par Miles: la source où Winnie a rencontré Jonathan est une véritable fontaine de Jouvence, les ayant tous rendus immortels il y a de cela près d'un siècle... Cette découverte ne sera pas sans conséquences sur sa relation avec Jonathan: boira-t-elle de cette eau pour vivre un amour sans fin et ainsi se couper à son tour du reste du monde? «We are like rock», lui confie le père de Jonathan, assez sage pour voir le dilemme dans lequel Winnie est plongée. Des événements dramatiques, en partie provoqués par l'inconnu qui pourchasse les Tuck, la forceront à choisir.

Les films destinés aux enfants s'adressent souvent à leur candeur et pas toujours à leur intelligence. Celle qui émane de Tuck Everlasting devrait les séduire sans difficultés, tout comme leurs parents, qui en savent un peu plus long sur la précarité de l'existence, le temps qui file à vive allure, et ce désir parfois bien enfoui d'immortalité.

Même si l'on prend soin d'éviter toute sexualité explicite (une baignade au pied d'une chute et une danse autour du feu servent d'exutoires symboliques) et qu'il y a à peine quelques traces de violence, toujours justifiées, ce drame historico-fantastique ne fait pas l'économie des déchirements moraux des personnages tout en refusant d'agiter les violons plus qu'il ne le faut. Il émane de l'ensemble une curieuse atmosphère à la fois mélancolique et sereine, où se lit sur les visages la force d'une puissance immanente et la fatalité d'un don quasi maléfique. Des visages par ailleurs très connus, même si les Spacek, Hurt, Irving et Kingsley s'effacent toujours à temps pour laisser place aux amoureux transis. Ce qui ne les empêche pas de demeurer les acteurs accomplis qu'ils sont d'un film à l'autre, surtout les magnifiques Sissy Spacek et Amy Irving, jouant divinement les mamans au grand coeur alors qu'elles se chamaillaient comme de vraies adolescentes il n'y a pas si longtemps, dans Carrie de Brian De Palma.

Et finalement, peut-être qu'une source miraculeuse coule quelque part à Hollywood: on ose à peine croire qu'une si belle réussite, sans la mièvrerie coutumière, émane des studios Disney.

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