Jerzy Kucia, le Bresson animé

Je croyais avoir mal entendu, à cause non pas tant de la distance téléphonique entre Cracovie et Montréal mais de la franchise désarmante de l'aveu. C'est en rigolant que le cinéaste d'animation Jerzy Kucia me disait avoir réalisé Reflets (1979), un de ses plus beaux films, afin de «gagner des prix dans les festivals. Pour un cinéaste d'animation, c'est essentiel, sinon les producteurs ne vous font pas confiance». Tout comme dans son oeuvre, Kucia n'hésite pas à être déroutant, même s'il pourrait s'amuser à l'être davantage, la barrière des langues le forçant à adopter un anglais hésitant et limité.

S'il trébuche parfois sur les mots, le réalisateur polonais éprouve plus de confiance devant les images, et on pourra y jeter deux formidables coups d'oeil rétrospectifs. La Cinémathèque québécoise, en collaboration avec le FCMM, propose un panorama en deux temps (qui a commencé hier et se poursuit ce soir à 20h30 à la salle Claude-Jutra) des films de Jerzy Kucia, considéré par plusieurs comme «le Robert Bresson de l'animation», un titre dont il est très fier «et qui n'est pas du tout lourd à porter!», souligne-t-il sans fausse modestie.

Un seul long métrage

L'occasion est offerte de vérifier quels sont les liens thématiques qui unissent l'un et l'autre, et peut-être aussi ceux qui le rapprocheraient d'une autre animatrice de grand talent, Caroline Leaf, que Kucia connaît bien. Si, comme la réalisatrice de The Street, il utilise les possibilités de la peinture sur verre, ce n'est pas la seule, et c'est ce qui frappe dans sa filmographie, soit la grande diversité des techniques. Depuis son premier film, Le Retour, en 1972, Kucia ne cesse d'explorer des manières nouvelles de traiter de mêmes sujets. C'est pourquoi il me confie qu'«en plaçant tous mes films l'un derrière l'autre, on n'obtiendrait qu'un seul long métrage, tout à fait cohérent. Je crois même que si je choisissais n'importe quel de mes films en utilisant une technique différente, le résultat final serait identique».

Kucia se préoccupe peu de la narration, ce qui lui a valu l'étiquette de cinéaste impressionniste. Ces ambitions sont ailleurs, plus souterraines, cherchant à mettre en forme et en lumière la vision cachée du quotidien, de l'histoire, du passé. Exploration souvent de nature sensuelle aux contours mystérieux, son cinéma semble toujours osciller entre le rêve et la réalité, dans des mouvements répétitifs et cycliques. Voilà pourquoi il refuse de se soumettre à une seule technique, passant du dessin au papier découpé ou à la photographie: «C'est grâce à ce que je vois et à ce que je vis qu'il m'est possible de trouver la forme de mes films.»

L'approche de celui qui est devenu cinéaste «par hasard» alors qu'il voulait plutôt se consacrer à la peinture est parfaitement illustrée dans le magnifique Parade (1986). «Je voulais décrire la réalité rurale de mon pays parce qu'elle est en train de disparaître, précise Kucia. Il y a bien sûr une part de nostalgie dans la démarche, mais c'est une façon de mettre en images la mémoire de mon passé. Et cette vision ne cesse de se transformer au fil des ans.»

Alors qu'il se fait une joie d'offrir l'ensemble de son oeuvre au public montréalais, Jerzy Kucia avoue être à la fin d'une longue période et arrive mal à définir l'étape suivante. Les bouleversements en Pologne au cours des dix dernières années ont rendu le cinéaste à bout de souffle: «J'ai du mal à aborder tous ces changements dans mes films car ils sont si rapides. Il faut dire aussi que le cinéma d'animation exige beaucoup de temps, et donc de l'argent, mais il n'y en a pas en Pologne. Même si j'enseigne l'animation à de jeunes étudiants passionnés, ce qui me stimule beaucoup, j'ai l'impression de perdre un temps précieux quand je ne tourne pas. Et j'en souffre.»

Le cinéaste apparaît toutefois enthousiaste de laisser ses frustrations de côté le temps d'une rétrospective. Un public qui, à n'en pas douter, sera certainement médusé et perplexe devant le surréalisme de Printemps (1980) ou la dilatation du temps dans Le Passage à niveau (1979). Kucia sait très bien à quoi s'attendre: «Beaucoup de spectateurs me demandent ce que j'ai voulu dire dans tel ou tel film. Je ne fais que chercher un langage cinématographique, une façon d'envoyer des signaux aux spectateurs. Je suis en attente de réponses.»

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