L'affaire est dans le sac
L'empire Europa de Luc Besson ne se consacre pas qu'au salut du cinéma d'auteur, et encore moins à faire rayonner la grandeur de la France, tout particulièrement sa langue. Le cinéaste, maintenant davantage connu comme ambitieux producteur et scénariste d'occasion, multiplie les films tapageurs, au confluent des rutilantes méthodes hollywoodiennes et des bagarres chorégraphiées par les populaires cinéastes de Hong-Kong.
Peu importe que les films se nomment Taxi, Wasabi, Yamakasi ou Kiss of the Dragon, la recette ne diffère pas: deux scènes spectaculaires, une au début et l'autre à la fin, encadrent une multitude de variations sur le même thème où tous en prennent plein la gueule. Dans cette lucrative continuité, The Transporter de Cory Yuen va ravir ceux qui ne se lassent pas (encore) de l'approche cartoonesque de Besson.Frank Martin (Jason Statham, un physique de jeune Marlon Brando sans le charisme) livre à domicile les trucs les plus illicites mais se fout de savoir le nom de l'expéditeur, ses raisons obscures et toujours illégales, et le contenu du paquet: «That's the deal», c'est sa seule et unique réponse, voire sa marque de commerce. Son entreprise solitaire fonctionne aussi bien que sa dispendieuse BMW (le film a parfois des allures d'extension du Salon de l'auto) mais l'engrenage donne des signes de fatigue lorsqu'il enfreint une des règles. Du sac placé dans le coffre arrière sort des bruits étranges: il y découvre Lai (Shu Qi), une jeune et jolie Chinoise que le fringant, tenez-vous bien..., Wall Street (Matt Schulze) veut éliminer parce qu'elle s'oppose à son trafic d'immigrants illégaux, tous des compatriotes qui deviendront vite des esclaves. Lai va placer Frank dans une position intenable, maintenant dans la mire de ces escrocs, tout comme celle de Tarconi (François Berléand, pathétique quand il devise sur Proust tout en dégustant des madeleines... ), un enquêteur qui ne croit pas que l'homme n'est qu'un jeune retraité de l'armée américaine.
Le cinéma de Hong-Kong, du moins celui célébrant la dextérité des spécialistes des arts martiaux, étend son influence bien au-delà de ses étouffantes frontières, où les Jet Li et autres Jackie Chan règnent en maîtres absolus. Puisque Hollywood invite des réalisateurs comme John Woo, Besson ne voulait pas être en reste et plonge à son tour dans cette vague déferlante avec Cory Yuen. C'est donc à partir de cette flamboyante collection de cascades et de coups bien placés que s'articule l'intrigue où les méchants sont très méchants et les bons plutôt humbles, même dans la victoire. Ce qui ne les empêche pas d'enfreindre le code de la route sans se faire inquiéter, de ridiculiser la police ou encore de sauter du toit d'un autobus à celui d'un poids lourd avec l'aisance d'une gazelle en attrapant la poupoune au passage.
On pourra toujours s'extasier devant ces poursuites de bagnoles dans les rues étroites de Nice, retenir notre souffle lorsque la luxueuse villa de Frank est la cible des balles et des missiles, éprouver une quelconque nostalgie devant les images sous-marines en repensant au Grand Bleu, tout cela n'élève jamais The Transporter à guère plus qu'un film à recettes, sélectionnées parmi les plus simplistes. Même les vedettes semblent interchangeables tant on éprouve la curieuse impression de confondre Jason Statham avec Vin Diesel, que The Transporter pourrait s'intituler XXX, se dérouler à Prague plutôt qu'à Nice et n'y voir que du feu, surtout celui fabriqué par les responsables d'effets spéciaux.
Que les cinéastes et les producteurs occidentaux se soient entichés depuis dix ans d'un certain cinéma asiatique n'a rien de répréhensible, trouvant là un moyen pas plus bête qu'un autre de renouveler les poncifs du film d'action. Par contre, ils oublient souvent qu'entre deux étranglements et quelques clés de bras, on pourrait aussi engager des scénaristes ceinture noire.