La misère des riches
Après Mary Harron (American Psycho), c'est au tour de Roger Avary (Killing Zoe), avec The Rules of Affection, de prendre d'assaut le monde superficiel et décadent du romancier Bret Easton Ellis, tellement chargé de références à l'air du temps que ses bouquins ressemblent parfois à des catalogues de grands magasins. Et à entendre Victor (Kip Pardue), un de ces riches collégiens de retour d'un hallucinant voyage éclair en Europe, affirmer que «Rome, it's just like L. A. with ruins», nous savons que nous sommes à la bonne adresse.
Cette adresse de tous les débordements affectifs et sexuels se nomme Candem College, et bien malin celui qui pourra dénicher un professeur, sauf peut-être Lance Lawson (Eric Stoltz), toujours dans la brume ou sous les jupes de ses étudiantes, et encore moins des garçons et des filles le nez dans leurs livres. L'année scolaire est scandée, du moins dans le récit que nous en fait Roger Avary, par une succession de sauteries aux noms évocateurs (The End of The World, The Pre-Saturday Night Party Party, The Dress to Get Screwed Party, etc.). Bref, tout sauf le paradis de la rigueur intellectuelle.Au milieu de ce perpétuel tintamarre, des alliances et des liaisons dangereuses se forment parmi quelques étudiants, pas les plus brillants mais assurément les plus pervers et les plus perturbés. Tous les regards convergent vers Sean (James Van Der Beek), petit vendeur de drogue à l'allure de mannequin rebelle, Paul (Ian Somerhalder), bellâtre à la dérive et hétérosexuel à temps partiel, et Lauren (Shannyn Sossamon), en amour avec Victor mais aussi séduite par la beauté de Sean, qui se disputent ses faveurs, ou du moins son attention. Autour d'eux gravite l'habituelle bande d'amis sortis d'un magazine pour ados, s'interférant avec joie dans leurs intrigues amoureuses.
Raconté ainsi, le tout pourrait s'apparenter à un épisode de Beverly Hills 90210 — et le film y puise quelques clins d'oeil —, mais ce serait ignorer le cynisme dévastateur de Bret Easton Ellis, qui prend un malin plaisir à dépeindre un univers où l'apparence et le sexe font la loi et le désordre. Tout cela est bien sûr enrobé de la mise en scène stroboscopique de Roger Avary. On devrait d'ailleurs moins parler de scènes que de vignettes et de cartes postales tant il excelle dans l'art de l'ellipse (les exploits de Victor en Europe sont à couper le souffle) et celui de l'artifice (judicieuse utilisation du split-screen pour la première rencontre entre Lauren et Victor avant un séminaire sur la condition postmoderne... ).
Même si le spectateur le plus indulgent va vite découvrir les limites de cette faune collégienne, le cinéaste utilise bien des subterfuges pour distraire notre attention, le film devenant une immense boule en miroirs, scintillante jusqu'à l'aveuglement. Le récit est divisé en autant de points de vue que de protagonistes, se déroulant en un long flash-back prenant son origine dans une de ces soirées survoltées où se scelle le destin, incertain, de ce trio de mal-aimés.
The Rules of Attraction n'en finit plus d'exercer sur nous une certaine attirance, de par sa forme clinquante et racoleuse, et une forte répulsion, surtout à voir s'agiter tous ces pantins upper-class désespérément vides et atrocement cons. C'est d'ailleurs le même paradoxe qui nous habitait à la lecture comme au visionnement d'American Psycho. Il y a là tout un étalage d'existences dérisoires, affichant avec tant de fierté leur vacuité que l'on ne sait plus trop si l'on doit en rire ou en pleurer. Il faut croire qu'il s'agit là de la vie étudiante des jeunes gens riches et pas encore célèbres, passage obligé pour une caste dorée qui ne réinventera pas le bouton à quatre trous.