Une actrice sous influence

Gena Rowlands, la mythique actrice américaine, veuve et muse du grand cinéaste John Cassavetes, est dans nos parages, invitée du FCMM qui lui rend hommage. Elle qui a pu visiter la salle Cassavetes de l'Ex-Centris dédiée à son mari y rencontrera demain des représentants du milieu cinématographique québécois. Au festival, l'interprète accompagne aussi quatre films qui ont marqué sa carrière.
C'est bien elle qu'on a vu surgir hier dans un hôtel du Vieux-Montréal, elle, la star des grands classiques Une femme sous influence, Opening Night et Gloria. Au cours des années 70, les plus beaux rôles de femmes hors des moules furent écrits pour cette merveilleuse actrice qu'on regarde aujourd'hui avec des yeux ronds. Le temps a passé sur la dame, plus raide qu'autrefois, plus fragile mais presque embaumée, à 72 ans, dans une éternelle blondeur. Icône du cinéma, muse, interprète et épouse du grand John, prince des indépendants américains disparu en 1989: pour les cinéphiles, elle tient du mythe.Dans Une femme sous influence, Gena Rowlands parvenait à incarner la folie avec une intensité qui laissait pantois. Et qui a oublié ses désarrois, sa vulnérabilité bouleversante qui crevaient l'écran dans Opening Night, son film préféré? «Personne n'a su me mettre en scène aussi bien que John», dit-elle. Et même si Woody Allen, Jim Jarmusch et d'autres encore l'ont dirigée, elle restera pour tous l'immortelle interprète de Cassavetes.
Il fut bien sûr un temps où, au côté de son mari si génial, elle n'arrivait pas à joindre les deux bouts. Un temps où, avec toute une bande d'acteurs, Ben Gazzara, Peter Falk et compagnie, John et sa muse Gena inventaient un nouveau cinéma américain, souple, fin, sensible, brillant. Un temps où personne ne voulait financer ou distribuer leurs films, si coupés de la veine commerciale. Mais qu'importait?
Les années de bohème et de bonheur sont derrière elle. «Mais on ne pourrait plus faire des films de cette façon-là, déclare-t-elle en entrevue. John pouvait alors accepter des contrats comme acteur commercial et reprendre ensuite un tournage là où il l'avait laissé. La machine est trop grosse, trop chère, ses règles sont trop strictes aujourd'hui pour permettre ce mode de fonctionnement. Dieu merci, les nouvelles technologies numériques vont quand même redonner aux jeunes une liberté de création.»
À l'époque où personne ne voulait de leurs films aux États-Unis, John Cassavetes et Gena Rowlands ont quand même pu profiter de la tribune des rendez-vous de cinéma (Une femme sous influence fut acclamé au Festival de New York en 1974, ce qui lui permit de trouver diffusion en salle). L'appui de l'Europe, où ils comptèrent très tôt des fans indéfectibles, fut particulièrement précieux. «La France, surtout, nous a accueillis avec passion. Comme nos films avaient une diffusion internationale, les distributeurs embarquaient, ce qui nous a permis de continuer, encourageant ainsi d'autres indépendants américains à suivre nos traces.»
Désormais, c'est son fils Nick qui la met en scène. Pour la troisième fois, il la dirigera, cette fois-ci dans The Note Book. «Il n'y a rien comme le fait d'être dirigé par quelqu'un qui vous aime, dit-elle. Tout ce que vous faites est alors meilleur. Et puis, j'adore voir un Cassavetes de l'autre côté de la caméra.» Ce fut une surprise pour Gena Rowlands quand son fils a décidé de plonger dans le cinéma. Il était sportif, mais à la suite d'un accident à la jambe, il s'est mis à écrire. «Si Nick et John ont un point commun, c'est leur amour absolu des acteurs, mais Nick accorde plus d'importance que son père au scénario.»
Gena Rowlands accompagne aussi au Festival du nouveau cinéma le dernier film dans lequel elle est apparue: Wild Iris, du cinéaste canadien Daniel Petry (un téléfilm, en fait, qui évoque une relation mère-fille). Ce rôle lui vaut une nomination pour un prix Emmy.
Aujourd'hui, elle dit préférer jouer dans des films novateurs plutôt que classiques, à cause des défis qu'ils présentent. «Nous traversons une période passionnante qui donne lieu à une toute nouvelle dynamique hommes-femmes, plus dynamique qu'au moment de ma jeunesse», déclare-t-elle en conférence de presse. En entrevue, Gena Rowlands précisera pourtant que John Cassavetes n'avait pas besoin d'être porté par un mouvement pour respecter les femmes. Leur union fut faite de bonheur. Elle en parle comme d'une fusion merveilleuse, nourrie de respect et de compréhension. «Comment John a-t-il fait pour créer l'univers d'Une femme sous influence et comprendre ce personnage féminin au bord de la rupture?, demande-t-elle aujourd'hui. Peut-être la figure de sa mère, très présente dans sa vie et très compliquée, l'a-t-elle inspiré.»
Ironie du sort: un timbre sera bientôt émis à la mémoire de John Cassavetes, grand incompris de son vivant dans sa patrie. La roue tourne et les oeuvres phares du cinéaste brillent désormais au firmament des grands films libres, servant une leçon de cinéma aux jeunes générations. Gena Rowlands demeure la plus grande ambassadrice de son oeuvre, actrice-symbole qui dit qu'un septième art sans concessions a pu fleurir hier en faisant un pied de nez aux majors d'Hollywood et donner des racines au cinéma de demain.