La résurrection de Bécassine
Pourquoi ressusciter Bécassine? Après tout, cette vénérable pionnière de la bande dessinée, née au début du siècle dans La Semaine de Suzette, s'insérait dans une société française d'avant-guerre. À l'époque, les Bretonnes portaient la coiffe, les rapports de classes étaient plus aigus qu'aujourd'hui. La Bécassine en question, bonniche au costume traditionnel en service chez la marquise de Grand'Air, était à la fois dévouée et bébête. La lecture d'albums anciens lui donnant la vedette constitue un voyage dans le temps. On en sort convaincu que cet univers-là est disparu pour toujours et qu'on ne s'en porte guère plus mal pour autant.
Retour à la question initiale: pourquoi ressusciter Bécassine? Et en dessins animés, qui plus est? Rêve d'animateur, et rêve un peu fou que celui-là. Bécassine n'avait pas de bouche dans la bédé initiale. Qu'à cela ne tienne, elle en a maintenant une. Philippe Vidal et deux scénaristes ont mis au monde ce long métrage peu inspirant qui s'adresse de toute évidence à un très jeune public. Mais en quoi le très jeune public a-t-il des atomes crochus avec cette héroïne d'un autre âge? Mystère!À travers des aventures rocambolesques et généralement absurdes, Bécassine et Charlotte (la fille de Loulotte) se retrouvent de Paris au pôle Nord en passant par Marseille et Ibiza, à la poursuite d'un trésor viking que de sombres vilains essaient de dérober au papa de Charlotte, grand explorateur devant l'éternel. Bécassine, sans âge, arbore toujours son costume et sa coiffe d'antan. L'époque est collée aux années 50 avec Marseille qui correspond aux archétypes à la Pagnol. Pas d'Arabes dans les décors, et des joueurs de pétanque qui disent «Peuchère!».
Les enfants ont des animations tellement plus originales à se mettre sous la dent de nos jours. Je ne vois guère ce que cette Bécassine nouvelle manière peut leur apporter de bien neuf. Ce film à la fois rétro et sans âge dans son univers paraît collé à celui des bédéistes du milieu du siècle. Le dessin n'apparaît guère très nouveau et, hormis quelques belles incursions dans la grotte nordique du trésor des Vikings, rien ne frappe l'oeil. Quant aux chansons, elles s'insèrent mal dans l'action et paraissent déconnectées des aventures du dessin animé.
Les petits enfants ne trouveront pas dans ce film la vraie solution de rechange européenne aux dessins animés américains (comme l'avait été Kirikou et la sorcière). De fait, il ne répond pas à la question: pourquoi ressusciter Bécassine.