Les meilleurs films allemands au Goethe-Institut - Par une nuit d'hiver...

La série «Découvertes allemandes - Les meilleurs films des années 90» se poursuit au Goethe-Institut sur les chansons de Velvet Underground, tout à fait appropriées à l'atmosphère à la fois glaciale et torride qui se dégage de L'Amour, l'Argent, l'Amour de Philip Gröning. Troisième long métrage (après Summer et The Terrorists) de ce réalisateur qui a décidé de troquer la médecine et la psychologie pour le cinéma, il n'en dissèque pas moins avec la précision d'un chirurgien la passion névrotique d'un couple en cavale.

C'est par une nuit d'hiver où tout paraît possible, celle du Nouvel An, que Marie (Sabine Hagenbüchle, à la fois séduisante et insupportable), prostituée sur les boulevards mal éclairés, rencontre David (Florian Stetter, écrasé par la force de sa partenaire), un chômeur sans rêves ni ambitions. Ils se plaisent, ne savent pas comment ils s'appellent et décident sur un coup de tête de prendre la route pour fuir un quotidien d'ennui et accéder à une vie meilleure.

De stations-service en hôtels miteux, ils épuisent vite leurs maigres ressources, et puisque David traîne un bras cassé enroulé dans le plâtre, l'impulsive Marie reprend le chemin des bas quartiers pour assurer leur subsistance. Quand les choses tournent mal, et cela se produit souvent, ils reprennent les routes anonymes d'Allemagne. Alors qu'ils se croient au bout de leur course (Marie continue de se prostituer tandis que David tente de travailler tout en préférant espionner sa douce pendant qu'elle joue les amoureuses ou les psychologues pour ses clients), un puissant proxénète met un terme à leur petit commerce. Les revoilà à la case départ.

Passion dévorante

Philip Gröning a délibérément créé un immense vide autour de ce couple davantage porté par la rage que par l'amour, faisant de tous les autres personnages des ombres fuyantes qui se perdent dans la grisaille hivernale allemande. Marie et David accaparent tout l'écran de leurs passions dévorantes, leurs querelles épiques, leurs retrouvailles larmoyantes et ce désir si pressant de s'emplir les poches. Cette relation plus cruelle que charnelle, filmée dans l'urgence comme s'il s'agissait d'un fait divers éclairé par quelques néons sur le point de rendre l'âme, n'est pas sans évoquer les excès d'un Jacques Doillon. Tout comme le cinéaste de La Pirate, Gröning semble attiré par l'anonymat des chambres d'hôtel, théâtre de toutes les cruautés, et pousse ses acteurs aux limites de la pudeur, de la violence.

On retrouve aussi dans L'Amour, l'Argent, l'Amour ce désespoir typique d'un certain cinéma de l'Europe du Nord où le climat, autant social que météorologique, n'est pas sans influence sur le comportement d'une jeunesse, qu'elle soit française ou allemande, plus près de la démission que de l'espoir. Sans vouloir faire de ce couple harmonieux dans la régularité de ses bagarres le symbole d'une Allemagne en déroute, le réalisateur n'en cherche pas moins à l'inscrire dans une réalité aussi ténébreuse qu'impitoyable.

Même s'il refuse les explications psychologiques (Marie explose de colère sans raison apparente; les événements qui les ont poussés à la prostitution ou au chômage ne sont qu'effleurés), Gröning ne quitte jamais de l'oeil de sa caméra ce triste duo de saltimbanques. «When I dream, I know where I am... », déclare David à Marie: ce n'est qu'une fois réveillés qu'ils apparaissent sans repères, sans racines.

À voir en vidéo