Festival international du film de Vancouver - Voir du neuf dans du vieux

Vancouver — Le Festival international du film de Vancouver, ce sont 304 films d'aujourd'hui... dans un décor d'hier. En effet, les principaux lieux de diffusion du festival — le Granville 7, le Vogue, le Ridge et Cinémathèque Pacifique —, ont tous le charme suranné des cinémas d'avant-hier. Les fauteuils qui craquent, les volumes au service d'une acoustique desservie analogiquement, les coloris défraîchis, même les odeurs, rappellent nos défunts Berri, York et Ouimetoscope.

Or, dans ces lieux dits désuets, on n'entend jamais le bruit du projecteur comme au chic «Carton latin»; l'atmosphère n'est pas non plus à la discothèque lavalloise comme au Paramount et la pente de la salle n'a rien d'une expédition sur l'Everest. De l'avis du directeur du festival Alan Franey, tant qu'un projet de multiplexe n'aura pas vu le jour dans le centre-ville de Vancouver (un projet au long cours implique présentement Famous Players et Alliance), le Festival restera fidèle à ces lieux accueillants où les festivaliers vancouvérois s'entassent avec un plaisir contagieux depuis déjà douze jours.

Singulier festival

Accaparé par le Festival, qui prend fin vendredi, Franey veille du coin de l'oeil aux destinées d'un projet d'envergure dont son organisation sera le principal bénéficiaire: le Centre international du film de Vancouver, premier du genre au pays, devrait vraisemblablement ouvrir ses portes à la fin de l'année 2004.

L'aboutissement de ce mégaprojet (14 000 pieds carrés, comprenant une salle multimédia de 200 places, des bureaux de production et des espaces d'exposition) est la conséquence d'un règlement municipal très particulier à Vancouver, selon lequel tout promoteur immobilier a le devoir, en redonnant vie à des espaces vacants ou décrépis par des projets domiciliaires ou commerciaux, de restituer une portion de cet espace à la communauté, sous forme de parcs ou de lieux de services.

Ainsi le Film Centre, construit sur les lieux de l'ancien Arts Club Theatre, enserré comme un trait d'union entre deux tours d'habitation, rue Seymour, donnera à Vancouver son modeste Ex-Centris. «Contrairement à Montréal, qui est un lieu de grande santé culturelle et où plusieurs projets d'envergure ont vu le jour en matière de diffusion du cinéma, Vancouver n'a pendant longtemps reçu que des mauvaises nouvelles. J'espère que le Film Centre sera le début d'un changement.»

Le directeur se dit constamment préoccupé par la situation du cinéma indépendant et d'auteur, en mal d'abris dans sa ville. Et le parc de salles de cinéma au centre-ville ressemble à celui de Montréal il y a dix ans. Selon lui, un autre facteur, plus souterrain, entre en jeu: «Montréal possède un public cinéphile très sophistiqué, qui met du poids dans la balance. On regarde ça avec envie, d'ici.»

Qu'à cela ne tienne, son festival attire bon an mal an 150 000 cinéphiles, lesquels se massent dans les salles en plein milieu de semaine, à l'automne, en période de haute saison dans les cinémas commerciaux, qui plus est, pour voir des films venus d'Asie, d'Europe ou de tous les coins du Canada.

Sensibilités asiatiques

De fait, l'identité du festival de Vancouver est unique au pays: anglo-saxonne par tradition, l'immigration massive d'asiatiques sur la côte Ouest l'a rendu sensible aux cinématographies d'outre-Pacifique. La section «Dragons and Tigers», l'une des plus courues du festival, faisait la fête ce week-end à Come Drink with me, une somptueuse vieillerie du défunt hong-kongais Da zui Xia, considéré comme un film-phare dans le développement des films de chevalerie et d'arts martiaux. Réalisé en 1965, le film à l'intrigue en forme de poupées russes raconte la lutte entre le gang des Cinq Tigres et l'Empire. Inutile de préciser qu'Ang Lee s'est inspiré de ce petit chef-d'oeuvre pour construire son mythique Tigres et dragons tant la parenté entre les deux films frappe.

Frappante, c'est également le mot qui convient pour qualifier la distance qui sépare les films de Shohei Imamura (La Balade de Narayama) de celui de son fils Tengan Daisuke. Aiki est en vérité un palpitant petit mélo sur un jeune paraplégique renouant avec l'existence grâce à un maître du aiki, un art martial axé sur la force des poignets et la force psychique, dans lequel la victime retourne la violence de l'agresseur contre celui-ci. Rien de bien original dans ce film agréable, sinon une façon très subtile d'aborder les sentiments, ainsi que le contre-pied pris par le scénario par rapport au cinéma d'arts martiaux traditionnel.

On s'étonnera par ailleurs qu'un festival d'aussi modeste envergure, qui arrive bon troisième dans l'échéancier des festivals canadiens, ait obtenu la primeur nord-américaine de Bloody Sunday, de l'Irlandais Paul Greengrass, lauréat de l'Ours d'or à Berlin en février. Et quelle épreuve grandiose que celle que procure ce film-électrochoc qui retrace, à la façon d'un reportage en direct, les heures noires de ce dimanche de janvier 1972, alors que l'armée britannique ouvrait le feu sur des manifestants pacifistes d'Irlande du Nord, tuant 13 personnes et en blessant 14 autres grièvement. Greengrass n'interprète pas les faits; il les reconstitue, sa caméra à l'épaule traversant les lignes ennemies, épiant les gestes et les regards, comme s'il était en quête d'un sens que trente années de recul n'ont pas encore permis de trouver.

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