Exposition - Rencontre en haut lieu
La grande exposition du Musée des beaux-arts de Montréal (MBAM) pour l'été a été inaugurée cette semaine. Fruit de négociations entre deux institutions muséales, la présentation propose à Montréal, et pour une seule escale, des chefs-d'oeuvre convoités de la Renaissance italienne. En 43 tableaux finement sélectionnés, l'exposition survole l'histoire de l'art italien du Quattrocento au Settecento en aménageant plusieurs renvois d'une oeuvre à l'autre, qui rendent la visite enrichissante malgré le graphisme lourd de la mise en vitrine.
Plus qu'un survol de l'art italien qui déclinerait les grands noms de la peinture italienne de la Renaissance, de Raphaël à Tiepolo en passant par Titien, Sassetta ou encore Bellotto, la sélection porte en elle l'histoire d'une collection.Le Szépmuvészeti Museum (le musée des beaux-arts) de Budapest possède une collection qui fait l'envie de plusieurs institutions d'Europe centrale. Cette dernière est reconnue pour sa richesse mais également pour sa diversité, plusieurs écoles et périodes s'y trouvant représentées. Le fonds Esterházy, du nom d'une famille élevée à la dignité de princes en 1687, a été acquis dans son intégralité, soit 637 peintures, quelque 3500 dessins et 51 000 gravures, par l'État magyar en 1870. D'autres collectionneurs ont contribué à enrichir davantage ce fonds au fil des ans. Un court texte relate l'histoire de cette collection au seuil de l'exposition.
Le parcours institutionnel de la venue de ces chefs-d'oeuvre ne s'arrête pas là. L'histoire du pèlerinage montréalais de ces tableaux commence en 1944, date à laquelle Les Noces de Cana, tableau de Giorgio Vasari (1511-74), a été volé avant de se retrouver en 1961 dans un magasin d'antiquités de l'État communiste pour être ensuite vendu et illégalement exporté au Canada. Les Noces de Cana a intégré la collection du MBAM en 1963. L'année suivante, le MBA de Budapest entreprenait des démarches pour le faire rentrer au pays.
En échange du geste courtois de restitution du tableau, le directeur général du MBA de Budapest, Miklós Mojzer, a promis de prêter des tableaux de sa collection à Montréal, ce qui explique l'unique escale. Le conservateur en chef adjoint et conservateur des maîtres anciens au MBAM, Hilliard T. Goldfarb, a établi la liste des tableaux et est responsable de l'accrochage raffiné dont profite ces chefs-d'oeuvre à Montréal.
Survol
L'exposition reprend, salle après salle, le développement de l'art italien tel que le découpent les ouvrages faisant un survol de l'histoire de l'art. Le parcours ouvre sur le Quattrocento et le troublant Crucifix peint (vers 1420) de Piero di Giovanni, dit Lorenzo Monaco, et se referme sur le Settecento et La Chasse aux cerfs (vers 1770) de Vittorio Amadeo Cignaroli.
Entre ces deux bornes défilent le gothique international, la Renaissance classique, le maniérisme et le baroque. Au fil du parcours, chacun y trouvera des pièces maîtresses. De Filippino Lippi, une Vierge et l'Enfant avec saint Antoine de Padoue et un moine (vers 1480) offre une solution remarquable pour exprimer l'idée de l'apparition, assoyant la Vierge sur un nuage, les pieds sur la terre ferme d'un pré fleuri. De Lorenzo Lotto, l'Apollon endormi, les muses et la Renommée, qui ne peut être associé à aucune source littéraire, figure parmi les joyaux de la sélection. À cette liste s'ajoutent un Raphaël dans son état non finito et La Mort de Lucrèce (1513), de Sodoma, saisissant d'effroi. Aussi, certains motifs iconographiques reviennent dans plusieurs tableaux, ce qui donne l'occasion d'en étudier les particularités, saint François d'Assise et ses stigmates remportant la palme à ce chapitre.
M. Goldfarb a visiblement pris un malin plaisir à accrocher ces oeuvres et à faire jouer des rôles inusités aux personnages représentés. Ainsi, le Saint Jean-Baptiste (début des années 1490) de Jacopo del Sellaio désigne, dans la composition, un arbre qui lui est associé par la tradition néotestamentaire (hormis la hache fichée dans le tronc, motif rare dans les représentations de saint Jean-Baptiste, en référence à Matthieu, III, 10: "La hache attend au pied de l'arbre. L'arbre sans son fruit sera abattu et brûlé"). Mais ainsi placé à la gauche de l'entrée d'une salle, saint Jean-Baptiste, montrant cette entrée, nous convie, coquin, à poursuivre la visite.
Plus loin, une suite de trois portraits sur des cimaises reprend la patrilinéarité chère à l'histoire de l'art: le plus grand maître de la Renaissance classique, Titien (avec un tardif Portrait du doge Marcantonio Trevisani de 1553-54), devance Romanino, dont le Portrait d'homme (1521-22), influencé par Giorgione, a intégré les leçons de Titien, alors que le trio est complété par le Portrait d'homme (vers 1560) de Véronèse, considéré parfois comme le dernier représentant de la Renaissance classique. Cette portion de l'accrochage contient un sous-texte historiographique que partout le conservateur s'est plu à souligner.
D'autres exemples, nombreux, pourraient être retenus. Comme ce Christ et la Samaritaine (vers 1597), d'Annibal Carache, placé sur une cimaise à l'entrée de la salle du Seicento et montrant le paysage derrière la scène, qui semble prolonger son geste vers sa propre personne peinte, au fond de la salle, par Bernardo Strozzi, qui représente l'épisode du Denier de César (vers 1630). Tout se passe comme si le conservateur, en plus de jouer sur la composition des deux oeuvres, avait voulu établir un lien thématique, à savoir que l'enseignement du Christ préfère l'esprit de la Loi à sa lettre: le Christ s'assoit avec la Samaritaine que tous rejettent, alors qu'il refuse aux pharisiens la contestation de l'empereur romain qu'ils tentent de lui soutirer ("Rendez donc à César ce qui est à César").
Ces références se poursuivent ainsi au-delà de deux salles. Le dernier tableau visible dans la salle du Seicento est le Denier de César, pour la composition duquel la pièce de monnaie est centrale. Le premier tableau visible dans la salle suivante est un sujet mythologique. Il s'agit d'une Danaé de Belluci (vers 1695), recevant une pluie de pièces d'or, allusion à Jupiter qu'elle accueille sous la forme d'une pluie d'or et qui lui fait un fils, Persée. À gauche du tableau se trouve La Rencontre à la Porte d'or (vers 1638), de Cavallino, l'histoire de la rencontre entre Anne et Joachim, qui enfanteront la Vierge Marie. Côte à côte, ces oeuvres informent sur la lecture qu'il est possible d'en faire. Il ne peut s'agir de hasards.
Seul hic, qui vient contrecarrer les efforts du conservateur à établir un discours entre les oeuvres: le graphisme de l'exposition et, surtout, son mobilier. Chevalets rudimentaires, les petites cimaises qui supportent les tableaux ont l'air de vulgaires présentoirs. Lourde, les grandes cimaises ne cessent de renvoyer à l'architecture du musée (ses oeils-de-boeuf, ses voûtes), ce qui finit par parasiter la lecture des oeuvres en établissant un autre réseau de références. Depuis quelques expositions le musée surcharge graphiquement ses salles (pour Picasso, c'en était jusqu'à l'horreur). Mis à part ce déplorable raté, l'exposition est dynamique et fascinante à visiter.