«Bijin: beauté à la japonaise»: et les femmes créèrent leur muse

Les artistes Yukiko Hashizume et Kaori Izumiya
Photo: Marie-France Coallier Le Devoir Les artistes Yukiko Hashizume et Kaori Izumiya

« “Bijin” est un terme japonais très ancien qui traduit la beauté chez une personne, mais on la retrouve surtout chez la femme », explique Amandine Davre, fondatrice de la galerie montréalaise Artasiam et commissaire de Bijin : beauté à la japonaise organisée par le Festival Accès Asie. Omniprésente depuis le IXe siècle dans la culture de l’empire du Soleil-Levant, la bijin est souvent représentée par une image idéalisée de la femme élégante, avec visage uniforme, des traits doux et harmonieux, vêtue de beaux kimonos… « Mais est-ce qu’aujourd’hui les choses ne seraient pas en train de changer ? Cet idéal du passé est-il toujours de mise ? » interroge la galeriste dans son exposition.

Les artistes désormais basées au Québec Yukiko Hashizume et Kaori Izumiya ont toutes les deux été retenues par Amandine Davre parce qu’elles travaillent justement cette image. « Kaori veut actualiser la vision de la femme et des standards de beauté qu’on lui impose, tandis que l’on retrouve dans les oeuvres de Yukiko l’essence de la bijin appuyée par une technique traditionnelle », fait-elle remarquer.

« Pour moi, le concept de bijin est un peu étrange… en français on peut utiliser le mot “beauté” pour beaucoup de choses, mais, en japonais, “bijin” est relatif à l’apparence », avoue d’emblée Kaori Izumiya, qui s’est vu convaincre de participer à l’exposition car elle serait libre d’affirmer sa propre interprétation de la bijin, « plus contemporaine » et sans contrainte. Ses estampes attestent ainsi de femmes fortes, charismatiques, avec des opinions tranchées et qui font ce qu’elles veulent. Mais, surtout, ces femmes, même si elles sont maquillées, ne cherchent pas à dissimuler les imperfections de leur peau avec leurs rougeurs, leurs boutons, etc. « J’aime dessiner ce qu’on n’attend pas forcément des femmes, donc qui ne sourient pas et sont plutôt en train de grimacer », raconte l’artiste.

Son tableau Equality, une peinture à l’huile d’inspiration occidentale yō-ga qui rappelle celles d’Egon Schiele, où l’on peut observer une femme tatouée seins nus, est certainement la toile la plus politique de Bijin : beauté à la japonaise. « Je ne revendique pas spécialement un art féministe, car le processus est naturel pour moi », souligne celle pour qui la couleur rouge est un vecteur de transmission des émotions durant toute l’exposition.

De son côté, Yukiko Hashizume propose des portraits de femmes qui reprennent les codes spécifiques de la bijin issus du mouvement artistique du nihonga : yeux en amande, nuque dégagée, lignes du nez fines et kimonos chamarrés… et très fleuris. Dans l’art traditionnel japonais du nihonga, qui a été théorisé au XIXe siècle, les débutants vont parfaire en effet leur pratique grâce aux fleurs, aux plantes, aux insectes et à tout ce qui se trouve dans la nature. « Quand j’étais au Japon, je dessinais ce qu’il y avait dans mon petit jardin. Avant de dessiner des femmes, j’ai donc commencé par les fleurs », indique l’artiste. Pour Yukiko Hashizume, les fleurs sont, de fait, inhérentes à la notion de beauté.

Mer, montagnes, fleurs… Chez Kaori Izumiya aussi les éléments de la nature font également partie du langage pictural. « Les gens connaissent tous la fameuse vague d’Hokusai, mais il en existe d’autres. Il n’y a pas que celle-là », relève-t-elle. Influencée et inspirée par la culture de son pays d’origine, elle n’hésite d’ailleurs pas à agrémenter ses oeuvres de ramen, sushis, taiyaki et autres boissons au melon — que ses personnages féminins dévorent sans hésitation. « En fait, j’aime peindre la beauté de ce qui lui manque », confie-t-elle enfin. Et Amandine Davre de conclure : « Bijin : beauté à la japonaise a été pensée pour faire comprendre au public qu’il n’y a pas une seule et unique beauté stéréotypée de la bijin. Si l’on prête attention, la beauté est partout et elle est subjective. »

Le Festival Accès Asie mobilisé

Sit, Eat and Chew est un parcours chorégraphique qui déambulera dans quatre lieux du Quartier chinois de Montréal le 27 mai à partir de 14 h. L’événement est ainsi né d’une collaboration entre la chorégraphe Léa Tremblay Fong et la communauté locale afin d’affirmer leur présence et leur attachement à un Chinatown plus que jamais menacé.

À noter aussi l’exposition Vie de l’utérus dans laquelle trois artistes d’origine iranienne (Khosro Berahmandi, Hadi Jamali et Reihan Ebrahimi) auscultent les relations entre la Terre, la mort et la renaissance. Celle-ci se tient à la Maison de la culture du Plateau-Mont-Royal jusqu’au 11 juin.

Bijin : beauté à la japonaise

Jusqu’au 23 juin au Conseil des arts de Montréal dans le cadre du Festival Accès Asie



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