La fête de l’abondance au Contact Photography Festival de Toronto

Jin-me Yoon, Hin Saek Piper 1 (Long Time So Long), 2022, impression à jet d'encre.
Photo: Jin-me Yoon Jin-me Yoon, Hin Saek Piper 1 (Long Time So Long), 2022, impression à jet d'encre.

Quand on parle de fête d’images, en termes de variété et d’abondance, il n’y a pas meilleur exemple que le festival annuel de Toronto. Le festival Scotiabank CONTACT Photography rassemble tout, vraiment tout. La 27e édition, qui s’ouvre vendredi, ne comprend pas moins de 180 expositions.

« Les expositions sont partout : dans les coffee shops, dans les stations de police, n’importe où, dit, en s’efforçant de parler français, Darcy Killeen, chef de la direction du festival. CONTACT est fondé sur la démocratie. Nous sommes pour tout le peuple et pour tous les artistes. On prend des artistes de renommée internationale, comme Wolfgang Tillmans, et des étudiants de première année. C’est unique à CONTACT et ce sera toujours comme ça. »

Sans thématique rassembleuse mais avec la mission de « se réinventer chaque année », selon celui qui animait mercredi la conférence de presse pré-ouverture, l’événement se divise en trois parties. Le programme principal (Core Program) de 2023 propose des arrêts dans dix musées, trente galeries majeures et vingt centres d’artistes. Le toujours attendu volet en plein air est ponctué de vingt et un emplacements à travers la ville. Comme si ce n’était pas suffisant, les galeries dites alternatives y participent sous la section « Open Call Exhibitions » — et on en compte 115.

À travers ce menu en apparence sans queue ni tête, il y a volonté de faire écho aux mouvements sociaux en cours. Au Musée des beaux-arts d’Ontario, outre l’incontournable rétrospective de l’Allemand Wolfgang Tillmans, Feels Like Home, de l’agence torontoise Sunday School, on célèbre la diversité en rassemblant des artistes africains et de la diaspora, sur fond de réflexions identitaires, culturelles et éducatives. « Home peut être un lieu, quelque chose de rassurant, une force. », disait la commissaire Emilie Croning devant les représentants de la presse.

C’est l’idée du Canada que je question-nais en plaçant des Coréens devant des tableaux du Groupe des Sept. Que comprend-on de la représenta-tion de paysages ? La question n’est pas simple.

Membre de la nation anichinabée d’Ontario, Nadya Kwandibens a clamé au micro le besoin de tisser des liens. « La photographie permet de vivre le moment présent et de partager des récits. On doit être capable de connecter entre chacun de nous. » La récipiendaire du prix Photographie de Toronto, remis pour la troisième fois en 2023, expose, dans un panneau publicitaire, un portrait de trois femmes rieuses. Le rire est une « médecine » subversive contre les clichés de « l’Indien stoïque ».

Un bémol teinte la 27e édition : la soirée inaugurale a été annulée en raison d’un conflit de travail à la Toronto Metropolitan University, où loge The Image Centre, un des diffuseurs du programme « Core ». « C’est une décision difficile qu’on a prise, concède Darcy Killeen. Le lancement attire 5000 personnes. Mais il y a grève et on ne va pas célébrer quand des personnes [en souffrent]. »

La reine de l’année

Selon Darcy Killeen, c’est l’artiste Jin-me Yoon qui est la plus pénalisée. C’est elle qui expose au Image Centre. Au téléphone, la principale intéressée admet sa peine, sans plus : l’exposition, qui réunit une oeuvre emblématique non vue depuis 25 ans et des images réalisées après 2020, se poursuit jusqu’en août.

« J’appuie le droit à la grève, dit-elle. C’est une force de négociation qui perdure à notre époque inéquitable. » Au sujet de A Group of Sixty-Seven (1996), un diptyque avec 134 images, Jin-me Yoon estime qu’elle n’a pas perdu de son propos. « C’est l’idée du Canada que je questionnais en plaçant des Coréens devant des tableaux du Groupe des Sept. Que comprend-on de la représentation de paysages ? La question n’est pas simple », reconnaît celle qui n’a jamais cessé de s’interroger sur ce qui définit une nation.

Née en Corée et établie à Vancouver, Jin-me Yoon a été honorée par plusieurs rétrospectives, dont celle passée par le Musée d’art de Joliette en 2019. Sa présence à CONTACT découle du prix de carrière Scotiabank Photography qu’elle a obtenu en 2022 et qui comprend 50 000 $, un livre chez l’éditeur allemand Steidl et une exposition au festival de l’année suivante.

« Je me sens comme la reine de l’année, dit-elle. Aussi, le prix reconnaît que les artistes au Canada ont besoin d’argent. L’aide publique des conseils des arts est formidable, mais l’écosystème manque de collectionneurs et de fonds privés. »

Le prix Scotiabank Photography 2023 sera attribué le 4 mai à l’un des trois finalistes parmi Ken Lum, Chris Curreri et Sandra Brewster.

Notre collaborateur était l’invité de Destination Ontario.

Scotiabank CONTACT Photography Festival

À Toronto, du 28 avril au 31 mai

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