Ces femmes que l’histoire a manquées, par MissMe

Comment rendre hommage à quelques-unes de ces géniales femmes que la science n’a pas su reconnaître pleinement parce qu’elles étaient femmes ? Comment le faire essentiellement par l’image, avec un portrait « puissant qui se comprend en deux secondes » ? C’est le défi auquel s’est attelée MissMe, l’artiste montréalaise connue d’abord pour ses graffitis, et le Planétarium de Montréal, avec la petite exposition NobELLES.
Prenez Donna Strickland, une Canadienne née en 1959. Une contemporaine, une proche, qu’on aurait toutes les raisons de connaître. Et pourtant. Combien de nous savent qu’en 2018, elle a reçu le prix Nobel de physique avec Gérard Mourou pour ses travaux sur la technique d’amplification par dérive de fréquence commencés dans le cadre de son doctorat ?
Mme Strickland, en d’autres mots, a trouvé le moyen de générer la lumière laser alors la plus puissante. Et elle devient la troisième femme à remporter un Nobel de physique, 115 ans après Marie Curie. Avec six autres scientifiques, elle est de celles que MissMe a choisies, dans la liste des personnes injustement oubliées réalisée à sa demande par les spécialistes du Planétarium.
S’y trouvent aussi, par exemple, l’ingénieure spatiale américaine Katherine Johnson (1918-2020), la mathématicienne allemande Emmy Noether (1882-1935), l’astronome américaine Vera Rubin (1928-2016), l’ingénieure américaine en aérospatiale Mary Jackson (1921-2005) et l’astrophysicienne britannique Jocelyn Bell (1943-), qui a découvert le premier pulsar, pour lequel son directeur de thèse remporte le Nobel.
Punks avant l’heure
« Mais ce sont des punks, ces femmes ! Absolument ! » s’exclame au téléphone l’artiste féministe MissMe. « Pour arriver à s’imposer, poursuit-elle, pour être la toute première à obtenir un doctorat, ou la seule ou la première femme à entrer dans une grande institution [comme la NASA, par exemple], et y être la meilleure, et ne pas être reconnue, et continuer… mais faut être complètement punk ! C’est juste pas le punk visuel qu’on est habitués à voir. Ce sont des révolutionnaires, ces femmes. Elles ont plus de culot que nous toutes réunies. »
Choisir les sept personnalités qui figureront sur des bannières, un côté portrait et un côté explicatif, dans le hall du Planétarium, a « été hyperdifficile », précise MissMe. « Les scientifiques du planétarium m’ont fait une monstre liste de plein, plein, plein de nanas en science. »
« Finalement, c’est moi qui ai fait le final cut, [le choix final], et c’était tel-le-ment difficile, scande-t-elle, et inapproprié pour moi finalement de décider qui allait être coupée ou pas, alors qu’elles sont toutes mille fois plus intelligentes et intéressantes que moi, tu vois. »
« Mais il fallait faire un nombre limité de portraits — parce que c’est beaucoup de travail ; et il y avait aussi un souci d’avoir un minimum de diversité, d’histoires et de domaines différents. Il fallait aussi trouver des photos de ces femmes, parce que je travaille toujours sur photo, et pour plusieurs il n’y en avait pas, de photos d’elles, on n’avait même pas pris leur portrait, alors que pour leurs collègues masculins qui ont découvert moins de choses qu’elles, il y en avait des tonnes. On était face à cette espèce de vide créé par ce qu’on veut exactement dénoncer. »
La matière et l’intention
MissMe confie qu’elle a eu un plaisir particulier à faire le portrait de Lise Meitner (1878-1968). La physicienne austro-suédoise fut nommée 49 fois au prix Nobel, sans jamais le remporter. Ses travaux sont de ceux qui conduiront à la fission nucléaire.
« J’étais vraiment contente aussi de faire le dessin d’une femme plus âgée, dit MissMe. L’effacement des femmes après un certain âge, ça me révolte personnellement ; et j’ai eu un vrai plaisir à dessiner la beauté de cette femme avec ses rides et l’intelligence dans son regard. »
Sur chacun des portraits, à la façon MissMe, des mots, des citations de chacune de ces dames. « Il y a, je trouve, toujours un piège dans notre manière de gérer notre société, très visuelle, quand on glorifie les femmes souvent uniquement sur leur apparence. Ça me dérange profondément — d’ailleurs c’est pour ça que je porte un masque », indique celle qui fait toutes ses apparitions publiques à visage couvert, souvent par une cagoule noire à grandes oreilles de souris, façon Mickey.
« Mettre leurs mots sur leurs visages, c’était ramener leur intelligence, la mettre par-dessus leur héritage génétique. Et c’était difficile de trouver les quotes [les citations] : ce sont des scientifiques, des femmes intelligentes, pas le genre de nanas qui font des slogans, tu vois. Elles sortent des paragraphes d’une intelligence rare ; moi, par contre, j’étais un peu coincée visuellement avec ça. »
La volonté du Planétarium, avec ce geste, est de ramener à la mémoire des scientifiques oubliées. C’est bel et bien. On peut toutefois se demander si présenter en groupe ces personnes dont chacune aurait mérité une exposition entière est une réelle valorisation.
Mais ce sont des punks, ces femmes ! Absolument !
Le Planétarium a voulu rendre hommage artistiquement et scientifiquement à la fois. Au lieu de doubler ainsi le respect rendu, il se dilue. L’information scientifique reste courte — une longue vignette. Des erreurs se glissent dans l’exposition finale et dans les fiches techniques l’accompagnant (Lise Meitner a été nommée 49 fois au Nobel, pas 48, par exemple; on écrit le nom de l’artiste Miss Me). Artistiquement, on ne présente pas les œuvres originales. Que des reproductions, sur bannières en plastique.
Drôle d’hommage artistique qui occulte l’importance de l’œuvre (d’une femme…), de sa matérialité, de son caractère unique. D’autant plus que les pièces de MissMe peuvent avoir un grand impact : quelques minutes à surfer sur le site de la Taglialatella Gallery de Chelsea, à New York, où a débuté la semaine dernière sa première exposition solo, The Apology of Anger, et on pressent l’effet que peuvent avoir certaines de la trentaine d’œuvres présentées quand on en voit les originaux, le côté disparate, le jeu des matières réelles.
Au Planétarium, nobELLES est dans le hall d’entrée, et on peut s’y promener gratuitement ; ou allonger sa visite au ciné spatial d’une demi-heure. Pour plus d’information sur ces actrices formidables de la science s’ajoute la série de balados, réalisée et animée par Lili Boisvert, au ton au début un peu rigide, et qui explique davantage les contextes — celui de l’époque ou celui de maintenant — en faisant des détours étonnants, comme cette entrevue de l’autrice et animatrice Geneviève Pettersen dans l’épisode sur Vera Rubin, parce qu’elles partageraient toutes deux une certaine résilience. Chaque épisode dure environ une demi-heure.