Un «Nous» plus inclusif

Davidialuk Alasua Amittu, « Migration », 1975
Photo: MNBAQ, Paul Dionne Davidialuk Alasua Amittu, « Migration », 1975

Plus petit que jamais, amputé de trois de ses quatre pavillons en raison du chantier du futur espace Riopelle, le Musée national des beaux-arts du Québec (MNBAQ) s’est trouvé une raison introspective pour rester attrayant : l’exposition Nous.

Le programme de cette nouvelle proposition installée au 2e étage du    pavillon Lassonde — « le seul qui nous reste », concède Annie Gauthier, directrice des expositions — répond au besoin de l’établissement de se renouveler et de se redéfinir. Il nous pousse aussi, par le biais d’une série d’énoncés interrogatifs, à nous demander qui nous sommes, ou comment nous nous regardons les uns les autres.

Le design correspond à ce qui se fait d’habitude, avec ses corridors ouverts et colorés. Sauf pour un élément : des questions philosophiques (« Qu’est-ce qui fait de moi quelqu’un d’unique ? », « Y a-t-il une différence entre accueillir des gens venus d’ailleurs et accueillir de la visite ? »…) accompagnent presque chaque oeuvre. Cette expo ne cache pas sa portée pédagogique pour un public scolaire. Fallait-il pour autant les inscrire en petites lettres, au ras du sol ?

De quel « nous » parle-t-on ?

Terme dangereusement pernicieux dans un contexte nationaliste — il y a nous, il y a eux —, « nous » est considéré ici par le MNBAQ comme une vertu. Il se l’approprie pour en faire le titre de cette exposition dite permanente.

Composée de 69 oeuvres, toutes tirées de la collection maison, Nous ne contourne pas la question identitaire. Plutôt que de l’aborder de manière frontale — et sous forme de confrontation —, le MNBAQ l’a voulue vague et large, et plus inclusive qu’exclusive.

« [Nous] possède l’étrange vertu d’être à la fois un tout et une équation entre soi et l’autre », lit-on dans le texte d’introduction. Les commissaires Valérie Allard et Maude Lévesque invitent à voir nos individualités (et les oeuvres) comme des éléments d’ensembles malléables et changeants. À chacun de trouver sa place, ou non.

Dispersés en trois thèmes plus ou moins poreux (identités, migrations, territoires), les peintures, sculptures, gravures, photographies et dessins défilent pêle-mêle sans égard pour l’époque de leur réalisation ou pour leur nature.

Photo: MNBAQ, Denis Legendre Aline Martineau, « La chevauchée », 1992
Photo: MNBAQ, Patrick Altman Denis Forcier, « J'aime parler aux étrangers », 1987

Parmi les rapprochements réussis, notons celui autour de la toile libre de John Heward, Sans titre no 141 (autoportrait), de 1990. Au cercle de cette oeuvre, qui circonscrit sans révéler quoi que ce soit, répondent le miroir ovale Autoportrait (vers 1977), d’Alfred Pellan, et les portraits de religieuses de la série Dévoilements (1999-2001), de Raphaëlle de Groot. « Je les dessinais à l’aveugle pendant qu’elles, à l’aveugle, dessinaient une couronne de profession », énonce cette dernière dans le cartel de ses encres.

Ces jeux de perception, ou d’interprétation, font du portrait le genre dominant de la première des deux salles. Il y en a de tous les styles, de la convenue représentation d’un noble du XIXe siècle (Le docteur François-Olivier Boucher, de Jean-Baptiste Roy-Audy) à la série de masques vertement contestataires d’Eddy Firmin, de 2016. C’est la mosaïque caricaturale de Marie-Claude Pratte, Portraits de société (1999-2000), qui ouvre l’exposition avec aplomb. Car au-delà des personnages stéréotypés qu’elle (dé)peint, du bourgeois au junky, ce sont nos jugements qu’elle semble dénoncer.

Trop petit ?

Si l’expo dresse ainsi par la voie de l’art, caricatural ou pas, le comportement d’une société, elle permet aussi au MNBAQ de se réévaluer. Forcé à faire autre chose de son pavillon d’art contemporain et d’y intégrer des courants plus anciens, le musée a dû relocaliser le secteur éducatif, chassé d’un des bâtiments fermés. Nous, qui a mené au démantèlement de l’expo De Ferron à BGL, en place depuis 2016, est née d’une inédite collaboration entre les départements de la conservation et de la médiation. Habituellement, le second est à la remorque du premier.

Le « voyage philosophique » auquel le public est convié repose sur une volonté de décloisonner les récits. Engagé depuis 2018 dans une relecture de l’histoire de l’art avec 350 ans de pratiques artistiques au Québec, exposition rendue inaccessible par le chantier, le MNBAQ s’inscrit dans un courant de discours moins doctrinaires adoptés par les musées.

Photo: MNBAQ, Idra Labrie Eddy Firmin, dit Ano, [pictogram] (Recherche), 2016

L’absence de présentation chronologique ou disciplinaire n’a pas fait de Nous une histoire sans queue ni tête. C’est plutôt le souhait de montrer trop d’oeuvres pour un espace restreint qui la rend confuse. Déjà, la mise en place d’ateliers pour les groupes scolaires et l’objectif de fragmenter l’étage en plusieurs expos — ce qui reste de De Ferron à BGL finira par disparaître — ont imposé l’exiguïté.

Les voisinages ne sont toujours pas heureux — le sous-thème de la guerre semble sortir de nulle part —, mais c’est surtout la deuxième salle, consacrée au(x) territoire(s), qui manque d’air, paradoxalement. L’occupation d’un lieu et les liens qui s’établissent entre les différentes formes de vie ont orienté l’accrochage. Artistes majeurs (les Riopelle et Leduc de la modernité, un Altmejd plus actuel) ou désormais incontournables (ceux des nations autochtones), oeuvres fétiches (Le coq licorne, 1952, de Jean Dallaire) ou les autrefois classées comme mineures se succèdent, se contaminent.

Audacieux dans certains cas — d’une scène champêtre à l’huile (Poème de la terre, 1940, de Maurice Raymond) semble sortir une harde de chevaux (La chevauchée, 1992, d’Aline Martineau) —, les voisinages rassemblent de tout jusqu’à en donner le vertige. Comme un reflet, volontaire ou pas, de l’empiètement humain sur la nature sauvage.

Jérôme Delgado était l’invité du Musée national des beaux-arts du Québec.

Nous

Exposition permanente au MNBAQ

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