Les centres d’artistes craignent les impacts de la nouvelle loi

Une itération du Laboratoire d’exploration en interventions urbaines performatives du collectif L’araignée réalisée en plein air en août 2022. Pour cette prestation, le collectif L’araignée était composé des artistes Helena Martin Franco, Noémi McComber, kimura byol lemoine et Pilar Escobar.
Photo: DARE-DARE Une itération du Laboratoire d’exploration en interventions urbaines performatives du collectif L’araignée réalisée en plein air en août 2022. Pour cette prestation, le collectif L’araignée était composé des artistes Helena Martin Franco, Noémi McComber, kimura byol lemoine et Pilar Escobar.

« Si la nouvelle Loi sur le statut professionnel de l’artiste ne vient pas avec plus d’argent public, cette loi va se retourner contre nous, contre les arts visuels. » Le Regroupement des centres d’artistes autogérés du Québec (RCAAQ) et le Regroupement de pairs des arts indépendants de recherche et d’expérimentation (REPAIRE) ont chacun de leur côté fait part de leurs inquiétudes face aux démarches entamées par le Regroupement des artistes en arts visuels du Québec (RAAV) en vertu de la nouvelle loi. Contrepoints.

« On sent dans le ton qu’on devient soudain les adversaires du RAAV et des artistes ; qu’il pourrait nous forcer à adopter une posture de patronat, comme si on était des patrons ou des employeurs — ce qui n’est pas le cas », s’inquiète Catherine Bodmer, directrice générale du RCAAQ, qui compte 70 membres et représente 90 % des centres d’artistes du Québec.

Des centres qui ne sont « pas juste des diffuseurs, poursuit la directrice. On est des lieux de production, de recherche, de rencontre, de partage des outils. Nos mandats sont variés : on offre des résidences d’artistes, des contextes de création. On propose un milieu participatif, proche des communautés artistiques. Nos conseils d’administration sont très souvent composés d’artistes ».

L’inquiétude vient de l’annonce des intentions du RAAV, maintenant qu’il peut négocier au nom des artistes avec les diffuseurs. « On croit à l’effet domino, a expliqué il y a deux semaines Lise Létourneau, membre du conseil d’administration du RAAV, au Devoir. On s’attaque aux plus gros, aux musées, et quand on aura passé les deux ou trois premiers, on pense que ça va débouler. »

« Après, on regardera les centres d’artistes. On vise les gros établissements, pour que ça tire les conditions [de travail des artistes] par le haut. » Il était alors clair pour le RAAV que le Musée des beaux-arts de Montréal, par exemple, devrait payer plus cher qu’un centre d’artistes autogéré.

Les centres d’artistes ne sont pas rassurés par cette nuance. Certains d’entre eux sont aussi membres de REPAIRE, le Regroupement de pairs des arts indépendants, qui compte également, parmi ses 300 membres, des artistes individuels et 80 organismes de tout acabit et de toutes disciplines, réunis par leur idée que l’artiste doit détenir « tout le pouvoir artistique et éditorial sur son oeuvre, de sa conception à son itération finale ».

« On doit clarifier la position que REPAIRE peut occuper dans cette nouvelle loi, et a priori, c’est pas évident parce que ça entre en contradiction avec notre nature même, et avec la nature de ce que font nos membres », explique Gilles Arteau, membre du conseil d’administration.

« Est-ce que les centres d’artistes, les compagnies indépendantes, les collectifs d’artistes qui s’autoproduisent et qui invitent parfois d’autres artistes sont désormais considérés comme des diffuseurs au sens de la loi ? C’est une question importante. »

Des artistes partout

« On s’inquiète des difficultés qui pourraient naître si on les résume à leur rôle de diffuseur, alors qu’ils ne font pas que ça et qu’ils sont aussi un soutien à la création et à la production », poursuit M. Arteau, qui est aussi commissaire de Phos, l’événement de Matane consacré à l’image.

La crainte ? Se retrouver dans une situation artiste contre artiste-diffuseur. Et aussi que le RAAV veuille négocier avec les centres d’artistes de la même manière qu’il le fera avec les musées. « Le prélèvement de sommes, de pourcentages ou de cotisations sur les contrats que produisent les centres d’artistes alourdirait beaucoup, beaucoup trop la charge bureaucratique », estime Catherine Bodmer.

Les petites structures, précise Mme Bodmer, sont déjà minées par la part administrative du travail, qui est l’envers de la médaille du financement public. « Il ne faut pas encore alourdir cette part, surtout actuellement, où la question des ressources humaines [et des pénuries de personnel] est cruciale. »

« Le système fonctionne déjà très bien en arts visuels », pense Mme Bodmer, qui pratique également, en photographie et en installations. « Un “plancher” de conditions minimales existe déjà, les pratiques ont été normalisées en 2015, et on a depuis des contrats types, un énoncé des meilleures pratiques, et des barèmes de tarification. »

Ces barèmes ont été établis avec le Front des artistes canadiens (CARFAC) et prévoient, entre autres, qu’un artiste qui a une exposition solo dans un centre d’artiste reçoive un cachet de 2200 $ minimum.

Un écosystème plus complexe que la loi

« On aimerait bien que le RAAV reconnaisse la nature particulière de notre regroupement et celle des centres d’artiste », continue l’administrateur de REPAIRE. « Si le RAAV nous considère comme des genres de musées, ça commence bien mal la discussion. On n’a pas ce mandat de collection et de diffusion. Pourquoi nous mettre à côté des musées comme diffuseur avec qui il est prioritaire de négocier ? » demande M. Arteau.

Ce dernier va plus loin, et croit que le RAAV seul ne peut représenter l’ensemble des pratiques artistiques en arts visuels et toute leur diversité. « REPAIRE voudrait probablement chercher la reconnaissance comme organisme artistique pour son propre domaine de représentation. Il pourrait, en arts visuels, y avoir plus qu’une organisation représentative », ce que la loi ne semble pas permettre.

« C’est pas parce que la loi ne reconnaît pas la réalité dans toute sa complexité que cette réalité n’existe pas », tranche M. Arteau.

« Il reste un travail important à faire pour nuancer cette loi, réfléchit de son côté Mme Bodmer, pour mieux l’adapter à la réalité du terrain des arts visuels et contemporains, tout à fait différente de l’industrie de la musique ou du spectacle. »

« Trop pressée de faire passer la loi en toute fin de mandat, la ministre de l’époque n’a malheureusement pas pris le temps d’effectuer un travail de fond. En fusionnant les deux lois précédentes, tout est mis dans un même pot, sans distinction. »

« Parlons-nous ! » propose plutôt Catherine Bodmer en s’adressant au RAAV. « Ce n’est pas parce qu’il y a une nouvelle loi qu’on doit commencer à fonctionner autrement que ce que nous faisions, et qui fonctionnait très bien pour notre écosystème. »

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