Écouter la glace à la Fonderie Darling

Récits nocturnes d’un côté, fossiles sonores de l’autre, la Fonderie Darling est plongée dans une ambiance empreinte de mystère. Deux expositions donnent soit à voir des résidus matériels ou des structures en cours de construction, soit à entendre des bruits provenant de lointaines profondeurs.
Alors que le centre d’art vient de célébrer ses vingt ans de diffusion, les artistes Amélie Laurence Fortin et Sandra Volny proposent des projets qu’on pourrait croire conçus en hommage à cette ancienne usine métallurgique. Pièces en cuivre ou en acier et évocation du passé et du pouvoir transformateur du temps résonnent de la grande salle à la petite galerie.
Si les deux artistes ne font pas fi du lieu qui les accueille, leurs oeuvres découlent de préoccupations qui précèdent l’idée d’exposer à la Fonderie Darling. Dans le cas d’Amélie Laurence Fortin, ce sont des « microévénements » d’une ampleur monumentale dans sa vie qu’elle a voulu raconter. Chez Sandra Volny, sa quêtepour capter des sons inaudibles « à l’oreille nue » l’a menée à révéler « la voix de la glace ».
Salut à l’innovation
Les récits d’une courte nuit d’Amélie Laurence Fortin se décline en quatre parties, entre une intervention murale presque imperceptible à un imposant voile, suspendu et en constant mouvement. Bien que peu évidente, la ligne narrative — ou lignes, puisqu’il y a plus d’un récit — pousse le visiteur à déambuler parmi les différentes oeuvres. Le souci de magnifier la matière, que ce soit le cuivre taillé de motifs informatiques d’Axis Mundi ou l’acier des constructions modulaires de monomyth, est palpable.
La poésie de l’artiste québécoise établie en Pologne rend compte de nos rapports d’échelle et de ses réflexions sur l’exploration, le territoire et le temps — ses microévénements, vécus lors d’une expédition en kayak de mer. À la Fonderie Darling, la hauteur de sa grande salle et la lumière qui l’envahit lors de jours ensoleillés ont souvent donné lieu à des expériences de cette nature, où l’on se sent à la fois petit et imprégné par la puissance des lieux. Comme dans une cathédrale, en plus sobre.
Là où Amélie Laurence Fortin ne se perd pas, ou ne fait dans la redite, c’est par le commentaire qu’elle laisse planer sur l’importance de la main humaine (ou l’esprit humain) derrière les idées de grandeur. Ce qu’elle désigne par « innovation humaine et technologique » s’applique autant au passé industriel de la Fonderie Darling qu’à tout ce travail qui permet d’avancer, celui d’hier en terre cuite ou en cuivre, celui d’aujourd’hui en polyester ou en robotique.
Sédimentations parlantes
Fossiles sonores de Sandra Volny comporte aussi plusieurs volets — et il n’y en a pas que pour les oreilles. D’une plus grande cohérence que l’expo dans la grande salle, celle-ci repose sur l’idée que l’eau est non seulement une source sonore, mais qu’elle véhicule une mémoire capable de rendre compte du passage du temps.
Fumisterie ? Du tout. Du moins, pour valider ses hypothèses, l’artiste a fait appel à la science, et en particulier aux recherches de Julien Chaput. À l’aide de sismographes, le mathématicien et géophysicien a sondé des sols glacés en Antarctique pendant deux ans, à différentes saisons et dans des conditions variables (tempête, accalmie…). C’est sur cette matière que Sandra Volny a bâti son exposition.
« [Julien Chaput] a découvert que la glace émet un son, très singulier, qui témoigne, à travers ses variations, des modifications en cours qui s’intensifient actuellement dans les sols, en raison des changements climatiques », explique l’artiste dans un court échange par courriel. « La voix de la glace » : ça aurait pu être ça, le titre du projet.
Un fossile est une trace, une empreinte, un dépôt sédimentaire. Ce principe de transfert, l’expo en rend compte par de multiples exemples. Un haut-parleur diffuse les échantillons de Chaput, qui sont en réalité des traductions audibles, grâce à des algorithmes complexes, de vibrations à l’origine imperceptibles.
Série titre de l’expo, Fossiles sonores ne sont pas des peintures abstraites, mais treize cas de « sédimentation du son sur pigments ». L’artiste a obtenu ces plaques après un long processus (quatre mois) où les ondes vibratoires en provenance du continent blanc ont été mises à l’épreuve de l’eau et de l’évaporation. Le résultat rappelle des effets d’oxydation ou des taches de liquide coloré.
Avec un exercice à la fois aléatoire et très protocolaire, Sandra Volny révèle à quel point la matière, et donc la nature, subit des altérations et demeure vulnérable en cette époque de crise environnementale. Sans sonner l’alarme, elle appelle davantage à la méditation et fait du laboratoire scientifique son autel. L’oeuvre La passeuse, un instrument d’écoute, consiste ainsi en une énorme éprouvette remplie d’eau où est plongé un hydrophone. Un casque permet d’entendre d’autres vibrations sonores, celles qui subissent l’impact de nos pas et de l’ambiance générale.