À Amsterdam, Vermeer comme vous ne l’avez jamais vu

« La fille au chapeau rouge », une des œuvres de la rétrospective Vermeer au Rijksmuseum jusqu'en juin 2023
Photo: Rijksmuseum / Kelly Schenk « La fille au chapeau rouge », une des œuvres de la rétrospective Vermeer au Rijksmuseum jusqu'en juin 2023

Certes, jamais autant de tableaux de Johannes Vermeer (1632-1675) ne furent réunis sous un même toit. Jamais autant qu’au Rijksmuseum, dans cette exposition présentée ces jours-ci ! Même sa grande rétrospective de 1995, organisée par la National Gallery of Art de Washington et le Mauritshuis de La Haye, serait dépassée, elle qui ne comptait que 22 tableaux sur les 35 qui lui étaient alors attribués.

En ce monde où la surenchère des nombres semble une mesure de qualité, on peut prétendre que des 35, 36 ou peut-être même 37 œuvres qui auraient survécu sur la cinquantaine que le maître aurait créées, 28 d’entre elles sont dans la capitale des Pays-Bas. Enfin, presque… Car ces jours-ci, il faudrait plutôt vraiment parler de 27 œuvres, puisque depuis le 1er avril, la célèbre Jeune femme à la perle est retournée chez elle, au Mauristhuis, à La Haye, après une guest appearance. Pourtant, l’expo se poursuit encore plusieurs semaines.

Notons aussi que parmi les absents notoires, il y a tout de mêmeL’astronome, qui ne se déplacera pas du Louvre Abu Dhabi, L’art de la peinture, du Kunsthistorisches Museum à Vienne — qui a tout simplement refusé de participer à l’événement —, La leçon de musique, restée au château de Windsor, La jeune femme assoupie et La jeune femme à l’aiguière, toutes deux au Metropolitan Museum à New York.

On évoqua poliment la trop grande fragilité de certains de ces tableaux, même si plusieurs ont voyagé durant les dernières années.

 

Mais bon, tous les billets se sont vendus en quelques jours. Le Rijksmuseum a même dû en rajouter et ouvrir les salles consacrées à cette expo le soir. Nous n’osons imaginer le nombre de cartes postales, d’affiches, d’aimants de frigo, de cahiers de notes, de sacs, de foulards, de bougies et autres cossins à l’image de Vermeer qui se vendront !

Apport à l’histoire de l’art

Bien sûr, c’est un grand bonheur que de pouvoir parcourir le panorama constitué par tous ces tableaux, presque tous exceptionnels, ici réunis. Toutefois, cette exposition ne compte aucune œuvre réalisée par un autre artiste. Cela aurait permis de saisir l’apport esthétique de Vermeer.

Ce projet semble nous convier à une utopique expérience « pure » des chefs-d’œuvre. Cette exposition est construite d’une manière thématique et très chronologique, en fait d’une manière très classique, pour ne pas dire très conservatrice et simple.

Les panneaux explicatifs sont très descriptifs, tentant de légères interprétations ici et là sur la signification de certains objets ou poses, mais sans réelle volonté de relecture. Des panneaux explicatifs plus longs auraient certainement ralenti le flot des visiteurs…

De plus, le musée a décidé de ne pas vraiment évoquer dans l’exposition les polémiques d’attribution autour de Sainte Praxède, du Musée national d’art occidental de Tokyo, de La jeune femme à la flûte, de la National Gallery of Art de Washington, ou de La jeune femme au virginal, de la collection Leiden à New York — tableau longtemps considéré comme faux —, peut-être la seule peinture de Vermeer appartenant à un collectionneur privé. On comprendra que cela a dû plaire aux prêteurs.

Ainsi on avait trois Vermeer de plus et un record plus net, arme de vente imbattable si on se fie à la réaction des médias et du public.

Photo: Staatliche Museen zu Berlin – Gemäldegalerie « La Dame au collier de perles », œuvre de Johannes Vermeer, 1662-64, huile sur toile

Mais qu’en est-il vraiment de l’apport de Vermeer à l’art du XVIIe siècle, de sa technique et même du sens profond de certaines œuvres plus énigmatiques ?

Pourtant, les interprétations sur l’art de ce peintre ne manquent pas. Nous pourrions même évoquer celle de l’artiste David Hockney, qui a soutenu avec intelligence que Vermeer utilisa une camera obscura qui inclut des lentilles. Bien sûr, l’art de Vermeer ne se réduit pas à l’usage de lentilles, mais disons qu’il a trouvé en elles une alliée pour ses effets optiques scintillants.

Alors, comment obtenir une lecture plus profonde de son œuvre ? Le catalogue — déjà presque introuvable en français et en anglais — est plus élaboré. Et il faudra aussi se procurer l’essai Johannes Vermeer: Faith, Light and Reflection, de Gregor J. M. Weber (cocommissaire de l’exposition), qui effectue une lecture religieuse et jésuite de l’œuvre de Vermeer, converti au catholicisme.

Voir pour de vrai ?

À voir tous ces gens faire la queue pour admirer, vénérer les œuvres en personne, nous réfléchissions à la fragilité du cliché qui veut que le monde virtuel soit en train de remplacer la réalité…

Mais, par ailleurs, qu’en est-il de cette possibilité de voir ces chefs-d’œuvre en personne, expérience incomparable s’il en est ? Cela s’avère peut-être plus complexe que le bon sens semble le dicter.

Toutes les œuvres, sous verre, étaient placées derrière une sorte de garde-fou, une balustrade, qui retenait les amateurs à une distance plus que respectable. Étant donné le nombre étouffant de visiteurs et la taille de certaines œuvres — La jeune femme au chapeau rouge mesure 23 cm sur 18 cm et La jeune femme à la flûte, 20 cm sur 18 cm —, les effets picturaux se perdaient dans une distance que même le zoom d’un téléphone intelligent ne permettait pas de saisir.

Ce que nous allons dire semblera un sacrilège pour certains, le commentaire d’un vandale pour d’autres, mais certaines images en haute résolution sur le site du musée nous permettent de mieux capter ces tableaux, avec plus de détails, que leur vue directe dans le contexte de ce blockbuster.

Ce phénomène, on me permettra de le qualifier de jocondisme, car personne, depuis longtemps, ne peut vraiment regarder la Monna Lisa au Louvre… Par conséquent, on en profitera pour cesser de critiquer bêtement les images et les divers instruments qui permettent de diffuser les originaux.

Vermeer à New York

Mais rassurez-vous… Si vous n’avez pas pu vous rendre à Amsterdam admirer ces chefs-d’œuvre, il y aura d’autres occasions de voir plusieurs Vermeer d’un seul coup, et ce, sans vous rendre en Europe. Sachez qu’à New York, entre le Metropolitan Museum of Art et la Frick Collection (qui, en 2024, rouvrira sur la 70e Rue), se trouvent huit tableaux de Vermeer regroupés. Et la dernière fois que nous sommes allés regarder les Vermeer du Met, nous étions juste quelques admirateurs à nous en approcher, sans faire la file. Les chefs-d’œuvre étaient à portée de main… En vrai de vrai.

Vermeer

Au Rijksmuseum, à Amsterdam. Jusqu’au 4 juin.

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